LA EMIGRACIÓN FRANCESA EN CALAMOCHA
(1530-1791)
Emilio Benedicto Gimeno*
* Licenciado en Historia. Bibliotecario en Calamocha.
Abril 2002
ISSN: 0214-1175

Table des matières

 1 - La présence française dans Calamocha
 2 - Intensité et chronologie de l'immigration
        a) Le 16e siècle et les premières décennies du 17e.
        b) La deuxième époque, entre 1620 et 1669     
        c) Entre les années 1670 et 1791
        d) A la fin du 18e siècle
 3 - Les professions des Français
 4 - L'évolution des métiers.
 5 - Les marchands et les chaudronniers
 6 - Les aires de provenance des émigrants
       a) les émigrants auvergnats
       b) les marchands du Béarn
 7 - Vie et mort de l'émigrant
       a) Quel accueil les Calamochinos ont réservé aux émigrants ?
       b) Quatre dispositions testamentaires
 8 - Les réseaux de solidarité de l'émigrant
       a) le commerce de la laine et la transformation du cuivre
 9 - Les compagnies artisanales et marchandes
10- Évolution et disparition du courant migratoire

NOTEZ : Les numéros que vous trouvez en fin de phrase ou paragraphe correspondent à des notes établis par l'auteur.A ce sujet consultez la version originale.

Résumé : Calamocha a été le lieu de destination d'un flux migratoire originaire du territoire français arrivé aux XVIe à XVIIIe siècles.
Dans cette étude la présence française décrit dans cette localité, l'intensité et la chronologie de l'immigration ; les professions dans lesquelles ils se sont spécialisés en portant une attention spéciale aux marchands et aux chaudronniers les compagnies artisanales et marchandes créées ; les aires de provenance de ceux-ci ; son adaptation et la vie en commun avec les villageois, l'évolution et les motifs de la disparition d'un courant migratoire.

Les Pyrénées, abruptes, offrent de nombreuses difficultés pour la communication, mais cela n'a jamais été une barrière infranchissable séparant les populations d'Espagne et de France.
Ses ports (cols) et vallées ont été témoins d'échanges commerciaux constants, ont joué un rôle important pour les petits marchants et les colporteurs qui essayaient d'obtenir de réels bénéfices par apport à l'inégalité des prix marchands en vigueur sur les deux versants.
Mais de plus, quand les orientations économiques et politiques étaient propices, de nombreux contingents humains se sont déplacés à travers les Pyrénées, en émigrant d'un pays à l'autre à la recherche de conditions de vie meilleures qu'ils ne pouvaient pas obtenir dans leurs lieux d'origine.

Évidemment, en pensant à ce flux migratoire, le premier cas qui vient à l'esprit est l'image des vendangeurs espagnols de milieu du XXe siècle montant avec les trains et en marchant en groupes dans la campagne française, où ils passeront quelques mois pour rentrer ensuite quand la campagne annuelle des vendanges sera achevée.
Cependant, les flux migratoires entre les deux pays, d'un point de vue historique, ont été plus habituels en sens inverse,
c'est-à-dire que les Français qui se sont déplacés temporairement vers l'Espagne ont été beaucoup plus nombreux que les Espagnols qui sont allés en France.
Depuis l'époque médiévale, la population de la France a grandi plus fortement que celle des royaumes péninsulaires ce qui a provoqué un flux continu de Français vers le sud.
La Couronne d'Aragon a profité, avec une grande habileté, de ces contingents français, très présents dans le royaume, pour lutter dans un premier temps contre les musulmans et, par la suite, pour repeupler le territoire occupé.
À partir du XIe siècle les rois aragonais ont continuellement sollicité le secours de leurs parents et de leurs vassaux de l'autre côté des Pyrénées, ils leur ont apporté  soldats et machineries de guerre 1.
Pour vérifier l'importance des troupes françaises dans ce processus reconquérant il suffit de citer, entre autres, les noms de certains de ses chefs guerriers :
Gaston IV de Béarn, de Raymond de Saint-Gilles, Guy-Geoffroy et Guillermo IX d'Aquitaine, Thibaut de Semur de Bourgogne ou Guillermo de Normandie, 2.
L'expansion chrétienne pendant la période médiévale serait impensable sans l'abondante  présence de ces troupes transpyrénéennes.
Des colons français sont arrivés dans la vallée du Jiloca, comme peut bien l'indiquer le toponyme Gascons, un endroit inhabité qui était localisé près de Calamocha.
Les autres localités seront remises, par l'autorité juridictionnelle, aux nobles français qui ont collaborés aux luttes, ou même à des couvents, comme cela a été pour «Tornos», un poste aux mains du monastère d'Oña en 1135 pour, par la suite, se mettre à dépendre du monastère de Morimond 3.
La Guerre des Cent Ans et les dures épidémies de la Peste Noire dont ont souffert les régions françaises pendant le XIVe siècle ont arrêté le processus migratoire.
Tout le territoire méridional français, l'Aquitaine, a perdu sa population, en devenant pratiquement désertique.
Sans excédents démographiques,  il n'y a pas d'émigration possible, au moins jusqu'à la fin du XVe siècle, moment où ils ont récupéré les niveaux démographiques du siècle précédent 4.
Avec les siècles modernes le mouvement migratoire des Français s'est accentué à cause de l'inflation galopante dont ont souffert les prix et les salaires en Espagne avec l'arrivée des métaux précieux issus d'Amérique.
Pour les Français il était très rentable de venir travailler dans notre pays, en économisant un petit capital qu'ils dépenseront par la suite dans leur pays natal, profitant d'une vie encore bon marché.
Dans ce sens, les XVIe et XVIIe siècles ont été témoins du déplacement massif de migrants faméliques français cherchant un travail dans ce côté des Pyrénées. Pendant le 18e siècle le processus migratoire continuera, mais étant plus sélectif, limité à certains groupes professionnels et à certaines régions françaises ayant une profonde tradition migratoire.
Si nous analysons les destinations de ce vaste courant migratoire, nous pouvons constater sa riche variété.
L'Andalousie était le centre économique de l'Espagne Impériale, parce que ses villes étaient des points très attractifs pour l'arrivée de marchands étrangers. 5.
La Nouvelle-Castille, spécialement Madrid, l'abondance d'une population mouvante et les possibilités de travailler et de gagner de l'argent  -tant pour les marchands que pour les vagabonds et les groupes marginaux-  favorisait l'accumulation de forains (tant des Castillans originaires de proches localités, que des Galiciens, des Basques ou des étrangers) 6.
L'Aragon a été observé par les historiens avec beaucoup de soins, et la proximité de la frontière a facilité tout au long de l'histoire l'implantation des émigrants et l'installation d'étrangers.
La Catalogne est sortie du Moyen Âge avec un déficit démographique très important, avec de nombreuses contrées dépeuplées à cause des pestes et des guerres ; elle a accueilli avec satisfaction toute une main-d'oeuvre qui était originaire
de l'extérieur. 7
Valence, avec quelques contrées rurales très prisées par des journaliers et des artisans français, et quelques villes dans lesquelles abonderont les marchands 8.
Dans le royaume d'Aragon la vie en commun des autochtones avec les Français est habituelle depuis des temps très anciens, d'importantes références documentaires ont été conservées 9.
L'objet de l'étude présente décrit la présence des Français à Calamocha dans l'actuelle province de Teruel, entre 1530 et 1791, en voyant comment évolue le flux migratoire de cette localité au long de ces deux siècles et demi 10.
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La présence française dans Calamocha


Il est pratiquement impossible de donner des chiffres absolus sur les émigrants français
qui ont résidé à Calamocha pendant les siècles modernes. Nous manquons de recensements de population, et les listes qui sont conservées n'indiquent pas la provenance ou l'origine des habitants.
Une première source à utiliser :  les registres paroissiaux conservés dans l'Église.
Les registres de mariages commencent en 1530 et ceux de défunts en 1528, quelques années avant que les dispositions émanant du Concile de Trente ne les rendissent obligatoires pour toutes les paroisses.
Les problèmes, qui surgissent après avoir utilisé cette source documentaire, ont été commentés par les divers auteurs, et nous ne nous attarderons pas à les reprendre, 11

Dans les registres plus anciens on ne mentionne pas toujours le lieu de provenance des contractants, et encore moins celui des défunts. De plus, les Français qui résident de nombreuses années à Calamocha, et plus encore s'ils contractent mariage dans cette ville, ont l'habitude de s'inscrire comme habitants de celle-ci, sans que leur provenance étrangère soit précisée.12.
Évidemment, nous trouvons des noms de famille d'origine transpyrénéenne, mais qui n'ont pas été inclus dans les listes de Français pour ne pas avoir indiqué implicitement leur provenance. Comme norme méthodologique, il a été seulement pris en compte dans ces registres nominaux la nationalité parfaitement signalée.
Les données obtenues dans les livres paroissiaux ont été regroupées par décennies.
Comme il peut être observé dans la planche nº 1.


Un premier calcul met en relation le nombre de Français qui se sont mariés avec le total contractants (des mariages x2).
Cette méthode de travail est similaire à celles que d'autres auteurs ont utilisé pour différentes aires du royaume, ce qui nous permettra de réaliser les comparaisons correspondantes.
Dans la deuxième statistique, les défunts français seront liés au total décès, en apportant une nouvelle courbe sur le mouvement migratoire, en incluant dans celle-ci une facette temporelle.

Dans une première approche, les données obtenues montrent avec surprise comment une quantité totale des décès triple par rapport à celle obtenue dans les livres de mariages 13. À première vue, il semble que les Français venaient à Calamocha pour mourir, plus que pour travailler.
Les possibilités de statistique pour une personne qui décède dans une localité proche de la vallée du Jiloca sont assez petites, et à l'exception de l'existence d'un Hôpital (un refuge simple pour des passants), aucun autre motif n'existe qui permette de comprendre la haute mortalité d'étrangers.
L'explication n'est pas aléatoire, alors d'autres motifs doivent exister, ce qui explique ce déséquilibre statistique.
Certainement, les données des registres paroissiaux de Calamocha reflètent une réalité migratoire très complexe, dans laquelle nous pouvons trouver toutes les variables possibles :
- l'émigration définitive, en rompant ou non avec le lieu d'origine;
- l'émigration saisonnière, en venant année après année en Aragon pour s'occuper de certains travaux,
- l'émigration temporaire, plus ou moins longue, avec un retour postérieur en France; et même la présence momentanée de marchands et les hommes d'affaires français.
Il serait très intéressant de distinguer ces différents types d'émigration, mais les livres paroissiaux ne nous apportent pas cette information. Nous nous limiterons pour le moment à poser une série d'hypothèses pour nous rapprocher du problème.

- 1. Nous pouvons penser que lors du mariage entre un français et une aragonaise, l'émigration devenait définitive, l'étranger qui a trouvé un travail stable et une femme en Aragon, décide de rester, bien que le fait de se marier à Calamocha n'implique pas sa
résidence postérieure dans cette localité. Normalement les mariages sont réalisés dans le pays de la fiancée, en suivant les contractants au lieu où ils avaient le travail.
Certains n'ont pu se rendre en France pour célébrer la cérémonie, ou changer de localité en Aragon, comme nous le montrent quelques exemples.
En 1632, Pierre Albarate, un chaudronnier originaire de Méallet, s'est mariée avec la calamochina Marie Guillén, pour peu de temps après, partir vivre dans la ville de Daroca 14.

-2. En argumentant de la même façon, nous pouvons pressentir que les défunts inscrits dans les livres paroissiaux d'Aragon qui ne s'étaient pas préalablement mariés étaient identifiés avec les émigrants saisonniers et temporaires, avec ces artisans, marchands et journaliers qui se sont déplacés pour réaliser divers travaux, en gagnant un argent qu'ils enverront dans leur maison en France ou qu'ils rapporteront quand ils rentreront.
Cette population mouvante pouvait être composée de journaliers agricoles, d'artisans qualifiés ou de petits marchands et de colporteurs.
Certains avaient une famille parfaitement constituée en France, composée de femme et enfants, et si c'était le cas, ils n'aspiraient certainement pas à s'établir en Aragon, bien que si l'affaire fût bonne, ils pouvaient revenir année après année, ou même passer de vastes saisons à Calamocha.

Cette distinction théorique nous ne la trouvons pas non plus décrite avec clarté dans les sources, déjà que nous pouvons trouver des émigrants français résidant toute la vie en Aragon, sans perspectives de rentrer dans leur lieu d'origine, mais qui après ne pas s'être mariés n'ont pas laissé de documentation à leur mort.
Certains étaient de très jeunes hommes, logés chez l'habitant comme des domestiques ou des bergers dans une maison de ses patrons, comme il parait être le cas du "Gascon" de nom inconnu qui est décédé en 1557 dans une maison de Mateo Fustero, ou l'exemple d'Arnaut de Beos, d'un berger béarnais, mort en 1579 qui a vécu dans la maison de son patron, Joan Pez 15.
Nous ignorons combien ont pu avoir une résidence définitive dans Calamocha puisqu'ils sont restés célibataires, ils ne sont pas inscrits dans les autres livres paroissiaux.

-3. D'autres groupes de Français, peut-être plus clairsemés, s'identifient aux passants très pauvres qui parcouraient le royaume, en mendiant ou en travaillant au hasard où ils le pouvaient. La faiblesse physique de ces indigents était très grande, et ils ont été
fréquemment les premiers à décéder en cas d'une grande famine et d'épidémies.
Nous savons que huit des français morts à Calamocha le sont à l'hôpital, en agonisant et en mourant sans même ne pouvoir 
dire leur nom.
En 1631, comme le rapporte le curé, un pauvre homme est mort à l'hôpital. Il n'a pas reçu de sacrement parce que quand il est arrivé déjà presque mort. Personne ne souvient d'où il était. Il paraissait de nationalité française. 16

La situation de Calamocha sur la route qui liait Saragosse au Levant espagnol a facilité la présence continue des mendiants étrangers.
En chiffres absolus, nous pouvons considérer que la colonie française établie à Calamocha, en étant encore importante, n'a atteint à aucun moment, les niveaux qui sont observés dans d'autres lieux du royaume. Comme il ressort de l'étude de C. Lange pour l'ensemble de l'Aragon, les émigrants Français ont surtout été trouvés dans l'actuelle province de Huesca et dans la vallée de l'Ebro.
À mesure que nous nous déplaçons vers le sud,  leur présence est plus petite et leur localisation est plus dispersée.
Si nous nous regardons dans la planche nº 1, l'immigration représentée par les Français qui contractent un mariage est à peine significative. Au cours des siècles modernes,  ils représentent 0,6% du total, et dans aucune décennie, ni même dans les plus propices pour une immigration, ils ont atteint 2,5%. Ces données restent très loin de celles obtenues dans d'autres localités aragonaises qui se sont approchées ou ont surpassé à certains moments 10%, comme ce peut être à Barbastro, Bidet, Sariñena, Ejea de los Caballeros et quelques paroisses de Huesca et de Saragosse.

Dans le cas des décès les pourcentages sont plus grands, surtout dans la décennie de 1630-1639, moment où il dépasse 4%, mais ne se rejoignent pas non plus les taux enregistrées au nord de l'Aragon 17.
Les données de Calamocha s'approchent de celles obtenues dans les registres paroissiaux de Daroca ou de Teruel, chose logique, au vu de la proximité géographique de ces trois localités.
Dans Daroca, d'un total 4 602 mariages, apparaissent enregistrés 105 conjoints français entre les années 1536 et 1710 ce qui suppose à peu près 1,1% du total, 18
À Teruel, entre 1550-1700, sur 1 351 mariages recueillis en ses paroisses distinctes, seulement 21 contractants étaient français. 19.
Les émigrants français se sont préférablement établis dans la moitié septentrionale de l'Aragon, en choisissant surtout la province de Huesca et la vallée de l'Ebro.
Divers facteurs expliqueraient cette situation. En premier lieu, les émigrants ne voulaient pas s'éloigner de la frontière, pour faciliter les visites vers leurs lieux d'origine ou le retour définitif si c'était nécessaire. De plus, l'importance de l'immigration semble avoir une relation directe avec l'importance du lieu d'accueil.
L'immigration française se dirige vers les villes, spécialement Saragosse, et d'une façon secondaire vers le monde rural, 20 ;
la plupart des habitants et des villages des montagnes méridionales de l'Aragon, y compris de la vallée du Jiloca, découvraient l'arrivée de nouveaux habitants transpyrénéens. Avec une écrasante domination des activités agricoles, ces petits peuples ne possédaient pas de ressources naturelles suffisantes pour se convertir en centre d'attraction qui faciliterait l'établissement des Français.
Dans ce sens, Calamocha a constitué une exception.
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Intensité et chronologie de l'immigration


Avec les données des livres paroissiaux, on peut reconstruire quelques cycles migratoires qui permettront de connaître comment a pu varier le flux migratoire au long des années. En maniant des échantillons statistiques très petits (33 mariages et 90 défunts sur 269 ans), nous courons le risque que toute modification simplement conjoncturelle ou familiale (l'imprévisible émigration massive de frères, de parents, d'amis, etc.) déforme substantiellement les interprétations.
Pour éviter ce problème nous avons croisé les courbes des mariés et des défunts dans le graphique nº 1, en vérifiant comment elles se complètent et s'avalisent mutuellement c'est-à-dire les deux courbes marquent les mêmes cycles.
La courbe des décès établit une émigration constante depuis le premier tiers du XVIe siècle à la fin du XVIIIe. Ce courant n'est interrompu à aucun moment, bien que se voit une lente diminution au cours du dernier siècle. Pour ce qui est des tendances matrimoniales elles sont beaucoup plus irrégulières, mais peut-être est-ce dû au propre manque de mariages.
Nous trouvons le premier marié français,  tardivement, en juillet 1573, et il existe quelques décennies dans lesquelles il ne se produit aucun mariage.
Malgré les différences, il est observé clairement comment les tendances marquées par les deux courbes sont très similaires, en révélant le maximum aux mêmes dates (1570-1639), et marquant les minima au XVIIIe siècle, et en montrant aussi le même moment pour couper le processus migratoire, dans la dernière décennie du XVIIIe siècle.

Graphique 1.Un pourcentage de Français dans les registres paroissiaux de Calamocha (1530-1791).

Les rythmes marqués par les courbes de décès et de mariages sont très similaires, en reflétant les relations étroites que les émigrants maintiennent entre eux.
Plus grande est la population flottante, travaillant et vivant plusieurs mois ou années dans cette localité, plus grandes seront les possibilités à ce qu'ils connaissent une femme et décide de se marier, en apparaissant de cette façon dans le registre de mariages.
Mais aussi on peut argumenter à l'inverse. À mesure qu'augmentent les Français qui résident à Calamocha, mariés avec des natives, plus grandes seront les possibilités qu'ils appellent leurs frères, cousins et autres parents pour qu'ils viennent travailler en Aragon, en augmentant de cette façon l'émigration temporaire.

a) Le 16e siècle et les premières décennies du 17e.
L'émigration française à destination de Calamocha commence à une époque très récente.
Les deux premiers décès datent un en mars et un en avril 1533, et correspondent à deux jeunes hommes de nom inconnu.
Cette présence étrangère, jusqu'à la décennie de 1560-69, n'a pas de répercussion dans les registres de mariages, mais il n'y a aucune raison pour ce fait puisse être attribué à une insuffisance d'information.
Entre 1570 et 1619 une légère augmentation des décès est constatée (avec un maximum dans la décennie de 1580), et les pourcentages de mariages sont consolidés à quelques niveaux significatifs.
Pour ce que nous savons des autres lieux, l'arrivée de Français était déjà très importante pendant la première moitié du 16e siècle, surtout celle qui s'adressait aux villes, mais qui aura aussi son effet dans le monde rural.
Les classes sociales plus nécessiteuses sont les plus affectées. Il s'agirait de vagues de pauvres misérables désireux de vendre leur force de travail aux meilleures conditions. À cette époque, quand elle se diffuse, l'utilisation du mot un Français est écrite déjà dans quelques registres paroissiaux aragonais 21.
La documentation ne permet pas de vérifier les motifs de ce mouvement migratoire vers Calamocha. À un niveau général, il faudrait chercher les causes tant en France, où se produit une hausse incontrôlée des prix qui pousse à la misère de nombreuses personnes 22, comme dans le territoire aragonais où existe une croissance économique sans comparaison jusqu'alors.

b) La deuxième époque, entre 1620 et 1669, nous apporte une plus grande intensité dans le processus migratoire. La présence de Français est plus régulière et importante, supérieure à 2,5% du total décès, pour atteindre le maximum dans la décennie des années 1630, avec 4%. Une augmentation remarquable apparaît aussi dans les mariages, au moins dans la décennie des années 1620, mais ils disparaissent radicalement à partir de 1633, sans que nous ne sachions clairement les raisons de cette différence de comportement entre les deux courbes.
Si nous observons sur la situation de l'Aragon pendant le deuxième tiers du 17e siècle, il est difficile de pressentir les raisons de l'augmentation migratoire, surtout si nous la comparons avec la période précédente. Le royaume souffrait d'une crise économique profonde, il a été durement touché par une grande famine continue et des épidémies ; une augmentation des impôts a été constatée pour participer au paiement du service voté en 1626. Cependant, des émigrants français ont continué d'arriver, et leur nombre a même pu augmenter.
Dans son ensemble, la situation aragonaise devait être meilleure que celle existant dans d'autres régions de la France, puisque c'est seulement de cette façon que l'on peut expliquer une prolongation du mouvement migratoire.
Quelques auteurs ont situé la fin du cycle migratoire français autour de l'année 1635, date qui coïncide en France avec la fin du long mouvement de hausse des prix et avec le commencement de longues hostilités entre les royaumes d'Espagne et de France, pendant toute la deuxième moitié du 17e siècle 23.
À partir du commencement de la guerre de Trente Ans, la chute des contrats de mariage d'origine française est générale dans tout l'Aragon, et constatée à Barbastro, Sariñena, Huesca, Alcañiz et aussi à Calamocha. La guerre n'offrait pas les conditions favorables pour les unions matrimoniales. Cependant, les guerres continues entre les maisons des Asturies et des Bourbons ne sont pas arrivé à couper les mouvements migratoires et les échanges commerciaux 24. Dans le cas de Calamocha, comme nous indiquent les registres des défunts, la présence d'émigrants se maintient aux niveaux très élevés jusqu'à la décennie 1660, en surpassant les difficultés des deux décennies d'affrontements militaires.
Un sujet intéressant est le remplacement possible des Maures.
À partir du mouvement mis en évidence par les observations de Jordi Nadal, l'émigration se dirigeait vers le royaume d'Aragon avec l'expulsion des Maures en 1610. Le vide démographique créé par l'expulsion a pu favoriser l'implantation d'émigrants dans des localités aragonaises précises, bien qu'il semble que la relation entre la sortie des Maures et l'arrivée des Français n'a jamais été directe 25. La présence mauresque dans Calamocha était pratiquement inconnue, et l'arrivée de Français, dans aucun cas, n'a pu les substituer.

c) Entre les années 1670 et 1791 une troisième étape est appréciée dans le processus migratoire, caractérisée par la prolongation du courant migratoire français, cela à de plus bas niveaux, en dessous de 1% des décès et contrats de mariages. Le changement de tendance est observé clairement à partir des années 1670, avec une diminution brusque des Français enregistrés dans les livres de défunts. La cause de cette inflexion a quelques origines. La monarchie espagnole est entrée dans une nouvelle guerre contre la France, en décrétant en 1667 un embargo dur contre les Français résidant dans le royaume, en l'accompagnant d'un ordre d'expulsion s'ils ne se soumettaient pas, en supposant qu'il ne s'accomplirait pas, il générait une atmosphère hostile envers les étrangers.
Aux émigrants qui sont restés des dons considérables ont été exigés pour supporter les frais militaires. De plus, les Cortes aragonais ont commencé à limiter la présence de la colonie française dans les réseaux commerciaux en leur en imposant restrictions et des réglementations. En 1684 il leur a interdit d'ouvrir des magasins et de commercialiser leurs produits s'ils n'étaient pas mariés avec des natifs du royaume. Un changement est aussi observé dans les sentiments que le peuple aragonais montre envers les Français, en passant de l'indifférence à une aversion évidente.
La conjonction de ces mesures a réussi à limiter le pouvoir marchand des Français et il a freiné l'émigration, mais il n'a pu arrivé à la couper, puisque le flux a continué pendant tout le siècle suivant.
La guerre de Succession a provoqué de nombreux ennuis à la colonie française qui résidait à Calamocha, dans la brève période de domination de l'Archiduc Carlos 26. Ceux qui ne sont pas partis ont souffert des conséquences de la répression, sans distinction entre l'émigrant définitif et le saisonnier.
Antón Rivera,(Antoine Rivière) marchand natif d'Auvergne et marié en Aragon avec une native, a vu, en 1706, les miquelets mettrent le feu à une maison qu'il possédait dans Daroca, bien qu'il pût maintenir intacts les biens immeubles qu'il avait dans Calamocha 27.
Après la guerre, quand la monarchie des Bourbons a été assise en Espagne, le courant migratoire a repris et continué, sans grands changements pendant tout le siècle.
Le renforcement des relations entre les couronnes de France et d'Espagne, reflétées dans le pacte de familles signé en 1761, facilitera la libre circulation des émigrants.
d) A la fin du 18e siècle les Français disparaissent certainement de Calamocha.
Bernard Gre, est mort dans un accident arrivé en avril 1787, il était le dernier Français qui apparaît cité dans les livres de défunts. Le même cas dans les livres de mariages, correspond à Pierre Delbos, natif à Oposne " Claramont " qui s'est marié à Calamocha en juin 1791. notez que les Delbos semblent originaires d'Ally dans le Cantal. nous ne voyons pas à quel lieu correspond Ospone, on peut considérer Claramont comme étant le diocèse de Clermont.
À partir de ces dates nous ne trouvons plus de mention.
La rupture du courant migratoire a eu des composants politiques et militaires.
Après la Révolution Française un nouveau sentiment xénophobe s'étend dans toute Espagne en rendant la situation sociale des français très délicate.
Cette aversion augmente après l'exécution du roi Louis XVI.  En 1791 a commencé l'embargo des biens des émigrants, en augmentant l'insécurité de cette communauté.
Finalement, la Guerre d'Indépendance et l'exaltation du nationalisme espagnol a provoqué la rupture du courant migratoire. Plusieurs ont décidé de revenir à leur village d'origine en France, en attendant que la victoire des troupes impériales permette une hypothétique indemnisation, puisque dans la fuite ils ont perdu leurs affaires, ainsi que les capitaux investis, les marchandises emmagasinées et les biens immeubles qu'ils pouvaient avoir acquis au cours de leur vie.
Avec la fin de la guerre de l'indépendance beaucoup de Français sont rentrés en Espagne et ils se sont à nouveau chargé des affaires anciennes, comme l'ont démontré quelques études à Segorbe, Valence et Madrid 28. Mais pas dans toutes les mêmes localités.
La région de Calamocha n'a jamais pu récupérer ce flux migratoire centenaire. Bien que les Français soient restés quelques siècles à travailler dans cette localité, ils n'y reviendront jamais.
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Les professions des Français


Les activités que les émigrants français ont réalisées pouvaient être très variées.
Plusieurs d'entre-eux n'avaient pas de qualification, et s'occupaient de toutes sorte de travaux. Ils venaient en Espagne en étant très jeunes, et apprenaient les métiers au fur à mesure, en changeant fréquemment de patron et de localité.
D'autres avaient un haut degré de spécialisation, localisés dans les grandes villes, s'identifiant normalement comme des migrants de plus âgés, ils avaient déjà une formation en arrivant en Espagne. Cette spécialisation a changé avec le temps qui passe.
Si au cours du 16e siècle les masses migrantes étaient fréquentes, composées de pauvres misérables qui fuyaient les guerres et la misère, peu à peu, ces flux sont devenus plus sélectifs et moins abondants. Depuis la fin du 17e siècle, et surtout à partir du 18e, ils ont été remplacés par des groupes d'émigrants spécialisés, fréquemment consacrés au commerce et aux activités artisanales 29.
Cette évolution chronologique entre les spécialités distinctes des émigrants s'apprécie en appliquant des critères géographiques.
Il semble que le territoire de la couronne d'Aragon, étant le royaume le plus proche de la frontière française, avec un vide démographique latent, a été la destination fréquente des groupes d'émigrants sans qualification professionnelle, s'occupant de tous travaux agricoles 30.
C'était une coutume depuis les temps médiévaux que les montagnards pyrénéens, à l'arrivée de l'été descendent jusqu'aux vallées de l'Ebro pour aider en travaux de la moisson, parfois en se déplaçant avec toute la famille, hommes, femmes, enfants et vieux, en passant entre huit et dix semaines en Espagne et en revenant au pays une fois la campagne achevée. 31.
Dans le reste de la péninsule, plus éloigné de la frontière, la présence d'émigrants s'estompe dans de petits îlots urbains, surtout des petits ouvriers et marchands, en étant moins abondants que les ouvriers agricoles.
Dans le cas spécifique de l'Aragon nous pouvons affirmer que beaucoup de Français sont occupés aux activités agricoles mais trouvons aussi de nombreux artisans et marchands.
Comme Guillermo Redondo, dans la ville de Saragosse vers 1642, les émigrants français étaient occupés dans des secteurs très variés, en ressortant numériquement dans l'agriculture et dans les activités textiles (pelaire?, tisseur, tailleur, etc...) 32.
De la même façon dans la ville de Barbastro, où les professions préférées par les Français étaient relatives à la transformation en laine, et dans une importante part : les travaux agricoles 33.
Pour l'ensemble du royaume, y compris le monde rural, C. Lange a élaboré un échantillonnage dans lequel ressort la prédominance des métiers spécialisés, surtout ceux relatifs à la transformation textile ; en deuxième lieu les métiers du secteur primaire : l'agriculture et l'élevage 34.
Selon ces études, les villes et les gens d'Aragon étaient demandeurs d'une main-d'oeuvre émigrante pour ces mêmes activités, dans premier un lieu pour le textile, et ensuite pour l'agriculture et l'élevage. Ces trois secteurs correspondaient aux spécialités économiques de l'Aragon, à une agriculture expansive dans un terrain non irrigué et intensive dans l'irrigation,
un élevage très important dans les contrées plus montagneuses, avec une production significative en laine, qui pouvait être transformée dans les industries dispersées dans le royaume, ou être exportée brute vers des centres manufacturiers européens. Certainement, les émigrants français sont parvenus à couvrir ces postes qui existaient déjà préalablement en Aragon et que, pour divers motifs, ils restaient vacants.
Cependant, les choses n'ont probablement pas été aussi tranchées. Dans quelques localités rurales certaines ressources économiques existaient, méprisées jusqu'alors, et que les Français ont pu mettre en exploitation. La localité de Calamocha a abandonné au Moyen- Âge la prédominance économique agricole importante et le peu de tradition manufacturière et artisanale. En dehors du secteur primaire, le reste des métiers était insignifiant. Cependant, la mention des métiers des émigrants que nous avons pu trouver dans les sources historiques nous disent précisément le contraire. Chez les émigrants qui sont arrivés à Calamocha prédominent d'une manière absolue les marchands et les artisans.
En utilisant conjointement les registres paroissiaux, les actes notariaux et les inscriptions d'étrangers, nous avons élaboré le tableau nº 2.
TABLA 2
OFICIOS DE LOS EMIGRANTES EN CALAMOCHA (1530-1791)
Profession Nbre. de Français %
chaudronnier 96   39,5
marchands 42   17,28
autres métiers 15   06,17
inconnu 90   37,03
Total 243 100

Nous avons pu identifier à 243 français résidant définitifs, saisonniers ou temporaires à Calamocha durant les 16e et 18e siècles.
Nous connaissons le métier de 152 d'entre-eux et l'ignorons pour les 91 restants. Probablement, on pourrait baisser le chiffre de ces derniers travailleurs en modifiant certains des pourcentages obtenus, mais nous pensons que, dans l'ensemble, il ne changerait pas la prédominance de certains groupes professionnels, surtout après l'avoir montré d'une façon très manifeste.
Les chaudronniers constituent le groupe plus important, composé de 95 artisans, entre lesquels :
trois sont "martineires" responsables de la fonte du minerai de cuivre,
42 Français se consacrent au commerce, définis parfois comme des marchands, soit 17% du total.
En troisième lieu, loin derrière, un groupe varié constitué d'artisans, de vendeurs de journaux (6), des bergers (2), un botiguero, un tapiador et un palero?.

Les jeunes hommes et les domestiques c'est-à-dire des Français non qualifiés, sont numériquement insignifiants.
Certainement, les étrangers que nous trouvons appartiennent au groupe d'émigrants qualifiés, très spécialisés pour des travaux déterminés. Cependant, ils n'ont pas cherché à occuper des postes déjà existants, mais ils les ont créés ex-novo, en profitant des ressources naturelles partagées jusqu'alors et en participant dans la consolidation de nouveaux réseaux commerciaux.
Dans ce sens, l'émigration française dans les montagnes méridionales de l'Aragon, à Calamocha en particulier, et probablement dans d'autres lieux, ne peut pas être expliquée uniquement par la théorie du "vide démographique" qui a besoin d'être couvert, mais elle devra être abordée comme une partie de la transformation et du rajustement que découvrait l'économie aragonaise, d'une tendance "autopointée" au 16e siècle et clairement dépendant aux 17 et 18e siècles.

Comme le signale l'historien Torras, pendant le Moyen Âge, en Aragon, une structure productive a été consolidée, organisée
à travers des petites villes que contrôlait le monde rural environnant, en s'appropriant les excédents agricoles et en offrant des produits manufacturés. Cette distribution se maintiendra pendant la Renaissance, renforcée par la propre croissance de l'Aragon, mais il montrera des contradictions profondes après avoir changé la tendance économique et quand s'installera la récession.
Depuis la fin du 16e siècle la division traditionnelle du travail à une échelle régionale s'effondre brusquement et voilà qu'elle est substituée par une organisation économique fondée dans des aires géographiques beaucoup plus vastes. Les marchands et les artisans arrêtent de travailler d'une manière exclusive pour les voisins et ils commencent à commercialiser leurs produits achetés plus ou moins loin.
Dans ce sens, la présence d'émigrants français à Calamocha, s'occupant des métiers ignorés jusqu'alors, a dû être le résultat de ce changement que certaines zones de l'Aragon découvraient. 35.
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L'évolution des métiers,


Au cours de l'Âge Moderne, la présence française à Calamocha a évolué au cours du temps, en se spécialisant dans des métiers déterminés et en abandonnant les autres. Essayons de montrer ce changement dans le tableau 3 et le graphique nº 2, dans lequel ce sont les Français qui se présentaient aux notaires de Calamocha pour solliciter un service.

Ces données peuvent être conditionnées par de nombreuses variables mais, après avoir croisé les chiffres avec ceux provenant des livres paroissiaux (une planche nº 1 et graphique nº 1), nous observons une évolution similaire.
Les deux sources confirment la même tendance, étant mutuellement avalisées de cette façon.
Malheureusement, les sources notariales commencent en 1631 ce qui empêche de connaître la situation précédente à cette date.

Voyons cette évolution différente historique avec un plus grand détail :
Le groupe de marchands :
L'apparition de petits marchands, des colporteurs et des négociants français dans les archives de Calamocha se maintient à un niveau assez haut au cours du deuxième tiers du 17e siècle. Ils se consacraient, entr'autres activités, au contrat d'achat de laine brute. Cette activité, monopolisée lentement par les Français, a établi une croissance constante pendant une grande partie du 17e siècle 36. Comme il est constaté dans de nombreux mémoires renvoyés aux Cortes et au Général du Royaume, la colonie des marchands français établie en Aragon a maintenu une croissance constante pendant le 17e siècle, en arrivant à exercer un monopole authentique sur une grande partie des routes commerciales aragonaises.
Cette situation a eu son reflet dans Calamocha, un lieu où sont arrivés à fonctionner deux lavoirs en laines, auxquels faudrait ajouter le troisième situé dans la localité voisine de El Poyo.      ????
En coïncidant avec le début de l'été, ces lavoirs se remplissaient de marchands qui au départ avaient  acheté  la laine dans les montagnes d'Albarracín, de Visiedo ou de Gallocanta, et qui venaient la faire nettoyer.
Ils restaient un ou deux mois dans la localité, en se logeant comme ils pouvaient dans les propres pièces des lavoirs ou dans des maisons particulières et, après avoir recueilli toute la laine nettoyée, ils quittaient la ville pour reprendre leur voyage. 37. Ce groupe de marchands, émigrants momentanés et saisonniers en majorité, sera l'une des causes qui contribuera à maintenir assez haut le niveau migratoire de Calamocha.
La présence française tombe brusquement à partir de la décennie de 1670-79.
La baisse migratoire a touché tous les marchands et les colporteurs pour des motifs variés    ???.
En 1667, commence la guerre de la Dévolution de Carlos II, comme mesure initiale, il décrète l'embargo de tous les biens que les Français possédaient dans le Royaume. Cette mesure sera appliquée à partir du mois d'août, et aura de graves conséquences dans Calamocha. L'embargo est réalisé dans les lavoirs, en confisquant les laines que les Français avaient là ; ce qui  provoquera la ruine de plusieurs d'entre-eux 38. De plus, en 1675 un don des marchands français est exigé pour permettre de financer les frais de la guerre, en leur exigeant plus du triple de ce que devaient payer les autochtones 39.
La situation se complique lentement pour les marchands. À partir de la décennie 1670, les Cortes aragonais ont commencé à prendre une série de mesures législatives pour intégrer les négociants français en Aragon, en favorisant sa lente assimilation ou sa substitution par une nouvelle classe bourgeoise autochtone. Dans les séances de 1678, ils décident de protéger l'artisanal local en interdisant l'entrée et la vente de tissus étrangers ce qui provoque la brusque diminution des échanges entre La France et l'Aragon, et la disparition de nombreux marchands. Il est aussi interdit aux Français d'ouvrir des magasins ou des entrepôts et de les louer, à moins qu'ils ne soient mariés et domiciliés en Aragon 40. Six ans plus tard, dans les Cortes de 1684-85, on abonde dans le même sens, en leur interdisant de commercialiser leurs produits, à moins qu'ils ne soient mariés et vivant en Aragón41. Nous pouvons supposer que la conjonction de ces mesures répressives et législatives a été la cause de la diminution de la présence de marchands français, ou au moins sa réduction à des niveaux beaucoup plus bas.
Dans la première décennie du18e siècle les marchands français disparaissent pratiquement à cause de l'insécurité due à la Guerre de Succession, mais la situation conjoncturelle changera quand sera terminé l'affrontement.
La deuxième et troisième décennie recommenceront à être les témoins de la présence importante des commerçants français, qui continueront d'acheter la laine brute pour la laver dans ( ? ) et la transporter par la suite vers Saragosse, et probablement de Calamocha vers la France.
À partir du deuxième tiers du 18e siècle, de façon subite, la présence française disparaîtra complètement des archives notariales de Calamocha, bien qu'en réalité ce processus a dû être plus lent et graduel, en s'affaiblissant progressivement, parce que des relations plus que centenaires ne peuvent pas disparaître du jour au lendemain. La retraite des marchands français sera accompagnée de sa lente substitution par les marchands catalans, qui finiront par contrôler ces routes commerciales, ainsi qu'ils le feront dans le reste de l'Espagne 42.
À titre d'exemple,  pour illustrer cec : en 1751  meurt à l'hôpital de Calamocha Josef Catalán, un marchand originaire de Flix, dans l'embouchure de Ebro, qui se consacrait à l'achat des matières premières en l'Aragon pour les envoyer vers la Catalogne.
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Les artisans, les chaudronniers


La présence de nombreux chaudronniers dans Calamocha s'explique, en premier lieu, par l'existence de mines en cuivre à quelques kilomètres de cette localité.
En cherchant des renseignements de base de cette activité nous trouvons quelques inscriptions, en vérifiant pour les années 1530 et 1540 pour aucune d'entre-elles il n'apparaît  la moindre mention de l'existence d'artisans du métal, et ce n'est pas à cause d'une insuffisance documentaire puisque sont représentées beaucoup d'autres professions (un meunier, un boulanger, etc..) 43.
Probablement, au milieu de 500 professions, le métier de chaudronnier était pratiquement ignoré à Calamocha, ou au moins limité à un ou deux ouvriers au maximum.
À partir du 1630, de façon spontanée, les nombreux chaudronniers français commencent à arriver, documentés tant dans quinque libri comme dans les écritures notariales.      ????
Les premiers que nous trouvons ont été Pierre et Guillen Albarate, des natifs de Méallet, en Auvergne, quand l'un d'eux s'est marié avec une calamochina ce qui implique qu'il résidait depuis quelques années en Aragon 44. Ces pionniers ont ouvert le chemin à plusieurs autres. Comme on peut le constater dans le graphique nº 2, dans cette décennie s'installe un courant migratoire très spécifique qui sera perpétué jusqu'à la fin du 18e siècle, en n'ayant pas de rupture significative pendant tout ce temps, tous les chaudronniers français appartenaient à la même catégorie professionnelle.
Dans la colonie de Calamocha nous pouvons trouver quelques types d'artisans, à savoir :
- les chaudronniers fondeurs ou martineires qui travaillent avec le minerai
pour obtenir des plaques ou feuilles de cuivre,
- les chaudronniers batteurs, à partir de ces plaques ils élaboraient les chaudrons
- les chaudronniers étameurs qui se consacraient au démarchage de village en village en réparant les vieux chaudrons et en les étamant à l'intérieur.
En 1686 l'un des émigrants, Antón Ribera,(Antoine Rivière) décide de construire un "martinet hydraulique" avec trompe de souffle pour améliorer la fonte du minerai et de l'élaboration de plaques, en augmentant de cette façon la production en métal 45.
Cette décision sera favorisée par la réglementation approuvée dans le cours de la même année pour promouvoir l'implantation de nouvelles industries en Aragon, en octroyant à ses propriétaires le privilège de les exploiter sous forme de monopole pendant trois ans 46.
Au 18e siècle ce secteur productif expérimente une nouvelle expansion avec la construction de deux nouveaux martinets, l'un dans Luco de Jiloca, au-dessous des mines en cuivre qui étaient exploitées dans cette localité, et l'autre à Calamocha 47.
Les deux seront construits par des Aragonais qui s'initieront de cette façon, par leur participation, à une activité occupée jusqu'alors par les émigrants auvergnats.

Comme nous l'avons signalé, les feuilles de cuivre élaborées dans les martinets étaient vendues aux chaudronniers batteurs pour que ceux-ci leur donnent la forme définitive. Ces artisans étaient des émigrants temporaires qui venaient en Espagne travailler pendant quelques années consécutives, ils gagnaient un petit capital et, quand ils le pouvaient, rentraient au pays. Quelques auteurs font état de cette présence de petits artisans qui augmente d'une manière substantielle pendant la deuxième moitié du 18e siècle, et arrive à son apogée dans les années précédant la Révolution Française.
Dans le cas des chaudronniers de Calamocha, cette augmentation reste parfaitement constatée dans les actes notariaux, tel qu'indiqué dans le graphique nº2, mais son reflet est aussi dans les autres sources documentaires.    ???

Si nous comparons les 17 chaudronniers saisonniers qui apparaissent dans les relations des négociants et distributeurs étrangers de 1764 avec 37 inscrits dans les registres d'accomplissement (pascua?) de 1786, nous constatons qu'en un peu plus de vingt ans leur présence a doublé. Probablement, l'affluence maximale de chaudronniers s'est produite vers la fin de 1680, en suivant les rythmes migratoires qui se poursuivent dans d'autres lieux de l'Espagne 48.
Les chaudronniers ont disparu à la fin du 18e siècle à cause de la Révolution Française et de l'Empire.
En 1791, ont commencé les problèmes, un serment de la fidélité au roi d'Espagne leur était exigé.
Les sorties de France se sont limitées comme une tentative pour contrôler la propagande séditieuse qui pouvait venir de France. L'année 1796, devant le durcissement de la guerre, il est décrété l'expulsion de tous les Français et la séquestration de leurs biens. La mesure n'a pas été du goût des autorités locales, puisqu'elle nuisait remarquablement à l'un des secteurs productifs les plus dynamiques de la ville 49.
En 1804 quelques Français continuaient de vivre à Calamocha, mais ils partiront après l'explosion de la Guerre d'Indépendance. L'accès au trône d'Espagne du Roi Joseph Bonaparte et le commencement de la guerre provoquera le départ général de tous. 50.
En 1814, quand la guerre sera achevée, les compagnies de chaudronniers français reviendront à Calamocha, mais ça ne sera plus pareil. Un courant migratoire ouvert au début du 17e siècle s'est, définitivement, rompu.
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Les aires de provenance des Emigrants


Les zones montagneuses françaises ont agi pendant l'Ancien Régime  comme d'authentiques usines à hommes, en élevant quelques enfants qui devraient abandonner la région pour fournir une main-d'oeuvre à d'autres régions plus défavorisées d'Espagne.    ???
L'appel d'une tyrannie " cerealística" acquiert toute sa crudité.
Toute crise économique, catastrophe agraire, changement dans l'activité habituelle des montagnards avait une très mauvaise répercussion en provoquant une migration immédiate. Les montagnes étaient des zones en excédent d'hommes, avec des communications déficientes sans alternatives au manque de subsistances.
Condamnés à l'émigration, même avant de naître, les montagnards français ont créé quelques habitudes de comportement qui, une fois socialisés, redoubleront génération après génération. Plusieurs d'entre-eux ont choisi de se diriger vers les pays étrangers.

Les hommes de la Haute-Auvergne occidental, des cantons d'Aurillac, de Mauriac, Saint-Flour et Pleaux partaient vers l'Espagne avec beaucoup de facilité, en s'établissant, entre d'autres villes, à Madrid et Valencia 51.
Depuis Limousin, les serruriers de Xaintrie et de La Roche-Cavilhac se dirigeaient vers le sud de l'Espagne, en se concentrant dans certaines villes de l'Andalousie 52.
Au 16e siècle les zones du Quercy et du Rouergue envoyaient ses émigrants saisonniers vers la Catalogne, bien que la tendance change à partir du 17e siècle.
De la région de Noirétable les hommes partent vers Valence, et les Savoyards et les Piémontais marchent en masse vers la Suisse, l'Allemagne et le nord de l'Italie.
Les montagnards des vallées pyrénéennes passeront vers la vallée de l'Ebro, en suivant quelques itinéraires établis depuis des temps immémoriaux, en s'étendant surtout en Catalogne, Navarre et Aragon.
Les Français que nous trouvons à Calamocha faisaient partie de ces mêmes courants migratoires que nous trouvons dans d'autres lieux de l'Espagne.     ?????
Des 243 travailleurs étrangers qui ont passé pour cette localité de la Jiloca, nous connaissons la provenance pour 96 d'entre-eux, nous ignorons l'origine des 147 autres français, une quantité très importante qui pourrait faire varier certains des pourcentages obtenus, mais non changer les tendances générales, puisqu'ils montrent une importante rotation.

tableau 4
Lieux d'origine des migrants et leurs métiers (1530 - 1791)
Provenance Chaudronniers   Marchands Autres Sin oficio Total
Auvergne  46 8 0 13 67
Béarn (Oloron et Lescar)  0 14 5 15 34
Tarbes et Comminges  0 0 2 1 3
Autre localité  0 0 0 2 2
Inconnue 50 20 8 59 137
Total 96 42 15 90 243


Comme on peut l'observer, la plupart des émigrants proviennent d'Auvergne et, en deuxième lieu, des vallées pyrénéennes, spécialement du royaume de Béarn (diocèse d'Oloron et de Lescar).
Les deux zones accueillent à 95% du total des Français ayant une origine connue.
Mais de plus, ils montrent aussi une spécialisation professionnelle très spécifique dans chaque courant.
Chez les Auvergnats le travail de chaudronniers prédomine, tandis que les Béarnais se consacrent dans une plus grande mesure au commerce en laine.
Voyons avec plus de détails ces particularités, en nous concentrant sur tous les motifs centrifuges qui expliqueraient la diaspora migratoire française.       ????

Les émigrants auvergnats

Une grande partie des Français que nous trouvons à Calamocha proviennent de la Haute-Auvergne occidentale, du canton de Pleaux, et secondairement des cantons de Saint Flour et d'Aurillac. Par municipalités nous avons Ally avec 29 émigrants,
Chaussenac avec 15 et Saint Martin Cantalès avec 5 autres, le reste étant reparti entre Barriac les Bosquets, Escorailles, Fontanges, Méallet, et les cantons de Pleaux, d'Aurillac et de Saint Flour.
Ces origines ne sont pas spécifiques du flux migratoire de Calamocha, mais ils coïncident avec la provenance des quelques Français que nous trouvons répartis dans toute l'Espagne.
Ces cantons du nord-occidental de l'actuel Cantal avaient eu une croissance démographique si importante que, dépourvus de débouchés, ils se sont vu obligés de laisser partir leurs hommes chercher une autre vie ailleurs. Les natifs de ces régions avaient l'habitude d'émigrer depuis les temps médiévaux, et ils n'ont jamais eu d'inquiétudes pour sortir du pays, en se dirigeant vers l'Espagne, les Pays-Bas  ou l'Allemagne.

En 1449 nous trouvons neuf chaudronniers auvergnats, Guillermo de Roche, Pierre et Guinot Dulac, Pierre Puech, Vicente et Antonio du Cuzol qui se  rendaient en Catalogne et en Aragon 53.
À la fin du 15e Juan Archero, un chaudronnier originaire d'Aurillac, est arrêté dans Tolède, accusé d'être un religieux protestant.
En 1578 Guillermo Bayle et Juan Sabi (Savy), marchands originaires d'Ally, ont été arrêtés à Saragosse accusés de se regrouper avec d'autres compatriotes pour pratiquer le luthéranisme 54.
Le courant migratoire des auvergnats à destination de l'Espagne a continué pendant tout l'Âge Moderne, en multipliant les références documentaires de manière significative aux 17e et 18e siècles.
Rose Duroux a réalisé quelques échantillonnages en partant d'une documentation de l'hôpital de Saint Louis des Français de Madrid, et constatant dans la présence de nombreux Auvergnats originaires des cantons de Mauriac, Pleaux et Salers 55.
En 1643 le corrégidor du Cuenca, D. Iñigo Mendoza, informe le Conseil de l'arrestation de huit Français originaires d'Auvergne qui se dirigeaient vers la Mancha pour travailler comme chaudronniers 56.
Dans le cas de Valence, plusieurs Français relevés à la fin du 18e siècle étaient également originaires des cantons de Mauriac et de Pleaux, des entreprises privées étaient même organisées pour guider des migrants temporaires de la France vers l'Espagne et vice-versa. 57.
Comme nous le voyons, tant dans le cas de Madrid que de Cuenca ou Valencia, les émigrants auvergnats viennent des mêmes lieux, aux mêmes dates, qui vont, aussi, dans beaucoup autres endroits d'Espagne, dont Calamocha.
Toutes ces localités sont la destination du même courant migratoire.
Dans la deuxième moitié du 18e siècle l'émigration des Auvergnats a augmenté, poussés par une succession de catastrophes agricoles, surtout à la suite des mauvaises récoltes des années 1769-71. Dans les années précédant la Révolution Française, nombreux sont les émigrants de la Haute-Auvergne qui se dirigent vers l'Espagne, surtout dans le secteur de Valence et de Madrid, tandis que les autres le font vers la Belgique et vers la Hollande.
Nous les trouvons aussi en Suisse, en Allemagne et en diverses régions de France 58.
Cette augmentation du courant migratoire auvergnat est aussi constatée, tel que nous l'indiquons, dans le cas de Calamocha.
Comme nous le voyons, l'émigration auvergnate en Espagne est un phénomène multiséculaire qui passe des parents aux enfants, en se prolongeant pendant quelques générations. Cette tradition migratoire est d'une telle importance que, dans leur propre pays d'origine, et dans leur propre famille on les surnomme populairement Espagnols, puisqu'ils connaissaient l'Espagne et parlaient parfaitement son idiome 59.

Les chaudronniers auvergnats étaient réputés depuis la fin du Moyen-Âge, et étaient présents dans diverses villes et villages de toute l'Europe, en jouissant d'un monopole presque absolu dans l'exercice de ce métier. Nous les trouvons dans de nombreux d lieux de France, d'Alsace, de la Basse Normandie et des Alpes, et aussi dans des régions et des villes étrangères comme l'Artois, la Flandre, Madrid, Valencia et l'Aragon. Cette activité était très enracinée chez les Auvergnats, mais il n'y avait pas de raison de style géographique ou logique.
En Auvergne les industries métallurgiques existaient à peine, et la production de minerai de cuivre était encore plus petite. Certains martinets fonctionnaient dans la vallée de la Jordanne et dans les environs d'Aurillac au 18e siècle alimentés en vieux cuivre que les migrants apportaient de leurs voyages et, surtout, des plaques de cuivre importées de Suède et d'Espagne 60.

La chaudronnerie était un métier typique des émigrants. Chez les Auvergnats existait une coutume enracinée, héritée du métier familial, et les parents s'efforçaient continuellement d'apprendre le travail du cuivre à leurs enfants, en leur cédant par la suite les outils et l'activité. Comme il manquait le minerai en cuivre, la chaudronnerie était un métier pratiqué, essentiellement, en dehors de l'Auvergne, en cherchant grâce à l'émigration le lieu le plus adéquat pour l'exercer près des mines potentiellement aptes pour son exploitation et le plus proche possible de grands centres démographiques où il était possible de vendre les produits. C'est de cette façon que les Auvergnats sont arrivés à Calamocha, et ont commencé ex-novo un métier qui n'avait pas ses racines dans cette localité de la vallée de Jiloca, mais qui disposait de l'expérience, probablement centenaire, apportée par les émigrants.

Les marchands du Béarn


Les résidants béarnais dans Calamocha étaient originaires des vallées d'Ossau et d'Aspe, des diocèses d'Oloron et de Lescar. Parmi les localités qui ont eu le plus d'émigrants il ressort en premier lieu, Sainte Marie de Oloron (12 hommes), suivie par d'autres petites municipalités proches (Lanne, Arudy, Lestella, Rebenac, etc..).
De la même façon que nous avons commenté le cas des Auvergnats, la présence des Béarnais dans Calamocha n'est pas spécifique à cette ville, mais elle doit être considérée comme partie intégrante d'un flux migratoire beaucoup plus vaste, et avec un caractère clairement multiséculaire. Pendant le Moyen-âge les Béarnais ont accaparé les échanges commerciaux réalisés entre les deux côtés des Pyrénées.
Dans le diocèse d'Oloron de vraies compagnies marchandes ont grandi dès le 14e siècle avec l'objectif unique de commercialiser des produits entre les deux royaumes, organisé à travers des réseaux de correspondants ou en installant des Béarnais en Aragon pour mieux contrôler les routes commerciales.
Ils acquéraient en Espagne du bétail, des céréales, du sel, de l'huile, du cuir et, à partir du 15e siècle, de la laine brute, achetée par des négociants avant la tonte 61. Ces échanges ont augmenté dans les siècles suivants, et avec les marchandises, les hommes ont aussi commencé à affluer. Comme l'indique C. Lange, la plupart d'émigrants français recensés en Aragon pendant les 16e et 17e siècles provenait précisément de ces aires géographiques 62.
Les diocèses d'Oloron et de Lescar ont fait partie, pendant le Moyen-âge, du royaume de Béarn. Ses dirigeants ont réussi à maintenir constamment des relations très étroites avec l'Aragon, renforcées grâce à des mariages réels.
Les communications à travers des ports de Somport et de Portalet ont sans doute facilité ces relations préférentielles.
En 1514 les Seigneurs du Béarn et le vice-roi d'Aragon ont signé un concorda dans lequel les Béarnais et leurs marchandises pouvaient circuler librement en Aragon, avec toute la sûreté que les autorités locales pouvaient offrir. Les facilités octroyées par les gouvernants ont renforcé le flux migratoire entre les deux territoires.
Toutes les zones montagneuses, d'une manière générale, ont l'habitude d'accuser un certain déséquilibre entre les hommes et les ressources. Ces habitants ont l'habitude d'être pauvres. L'essentiel pour la survie provenait de l'élevage (reléguée à la zone de montagne) et d'une agriculture déficitaire dans le Piémont. L'existence des humains frôlait continuellement la misère, parfois jusqu'à la rendre quotidienne. Les montagnards du Béarn ont continuellement cherché de nouvelles ressources pour subsister, en recourant fréquemment à l'émigration.
Pendant très longtemps, depuis ces zones pyrénéennes et piémontaises françaises, l'émigration temporaire a été très fréquente, des "chalanes", de misérables faucheurs et des journaliers qui descendaient de la vallée de l'Ebro, pour aider à amasser les récoltes, en rentrant par la suite chez eux, une fois la campagne achevée 63.

La croissance de la population française au courds du 17e siècle a développé l'émigration, mais, elle a aussi favorisé l'introduction d'innovations techniques qui ont transformé, avec le temps, le secteur productif béarnais.
L'extraction de minerai en fer de la mine de Baburet permet l'expansion des industries métallurgiques de transformation, surtout des forges qui profitent de l'eau de l'Ouzom pour activer les machineries.
Cependant, le fait le plus remarquable a été le renforcement d'une vraie industrialisation dans le secteur textile.
Dans la localité de Nay, du fait d'artisans émigrants du nord de la France, une fabrique s'est établie, elle utilisait la force des moulins hydrauliques et le foulonnage pour établir des filatures. Cette énergie sera aussi appliquée à la teinturerie, en facilitant les travaux de transformation.
L'élaboration des tissus était réalisée grâce au travail à domicile, en fournissant aux exécutants la matière première et en recueillant par la suite le produit terminé.
Ces manufactures, et celles qui ont suivi, ont profondément renouvelé un travail traditionnel artisanal de la laine, mais la matière première, produite par les ovins du Béarn, a commencé à être très insuffisante. 64.
Le Béarn avait besoin croissant de matières premières pour ses manufactures naissantes, et les royaumes de Navarre et d'Aragon se sont mis à les lui fournir.
Les bonnes relations entre les deux parties de Pyrénées ont facilité l'augmentation des échanges commerciaux.
La laine est devenue peu à peu le premier produit qu'exportait l'Aragon vers la France et, en même temps, l'importation des produits manufacturés a augmenté, entre-autres les textiles les plus fins.
Pour faciliter les relations commerciales entre les deux royaumes diverses compagnies marchandes ont surgi, comme celle fondée en 1556 par Martín Bernat, de Nantes, associé à Francisco Vicente, de Saragosse, ou celle constituée de Miguel de Fonçillas et d'Antonio Verdeger (para mercar pasteles y lanas de Francia para Spanya y de Spanya para Francia ?).
Plusieurs des échanges France-Aragon du 16e siècle ont dû être réalisés à un travers ces compagnies, en exportant les excédents et en important des produits déficitaires 65.
Cependant, à partir du 17e siècle la présence aragonaise dans ces réseaux marchands commence à disparaître, étant remplacée par une multitude de petits marchands et de colporteurs d'origine française qui parcourent entièrement l'Aragon, à dos de mulets ou avec des petits chariots, visitant tous les endroits.
Ces marchands français, qui ne cessent d'être des migrants temporaires, contrôleront en fin de compte les subtilités commerciales d'Aragon, soulevant de lourdes critiques de la part des corporations et de certains membres des Cortes. 66
Presque tous les migrants béarnais que nous trouvons à Calamocha, comme on peut l'observer dans la table nº4, se sont spécialisés dans l'achat en laine brute et dans son transport.
Certains font partie de réseaux commerciaux plus étendus, en se consacrant au transport de la marchandise jusqu'à Saragosse pour la remettre à un patron, ensuite, celui-ci se chargerait de la diriger vers sa destination définitive, d'habitude en dehors des frontières d'Espagne. 67.
Les autres, s'ils pouvaient disposer d'un petit capital propre, travaillaient pour leur propre compte, et après chaque achat de laine ils se dirigeaient directement vers la France, en rentrant dans leurs localités d'origines, pour vendre à des centres manufacturiers leurs acquisitions.
Ainsi, agissaient Guillén Artígola et Pierre Miranda, deux des marchands les plus connus dans les lavoirs de laine de Calamocha, que nous trouvons en 1642 traversant, en 55 occasions, le port de Canfranc 68.
Nous pouvons supposer que lorsqu'ils retourneront en Espagne, ces deux marchands amèneront des produits manufacturés pour les revendre en Aragon, en doublant de cette façon leurs bénéfices.
À mesure qu'augmente la demande en laine des centres manufacturiers du Béarn, les migrants temporaires pour l'Espagne augmenteront, se lanceront pour leur compte ou le compte d'une tierce personne, pour acquérir cette matière première. Plusieurs étaient de simples muletiers ou colporteurs au pouvoir d'achat peu important, à peine pouvaient-ils acheter de la laine avec le peu de capital qu'ils avaient, en les transportant à dos d'une ou deux mules.
Les bénéfices devaient être assez parcimonieux, juste pour subsister dans beaucoup de cas.
En mars 1672, est enterré à Calamocha à un marchand d'origine française mort d'une colique subite qu'il en est resté suffoqué . Les marchandises qu'il transportait n'étaient pas les siennes, puisque il les avait prises à Saragosse, prêtées par Juan de Mendiviella et il lui devait 280 livres. 69.
Évidemment, á côté de ces petits marchands, nous trouvons aussi en Aragon de grands marchands, étrangers et régionaux, mais ceux-ci, contrôlaient le commerce depuis Saragosse, à peine se permettaient-ils de voir les lavoirs de laines de Jiloca.
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La vie et la mort de l'émigrant


L'émigration française à Calamocha a été exclusivement masculine, comme nous pouvons la trouver dans d'autres lieux d'Aragon 70. L'immigration féminine a été pratiquement inexistante. Presque tous les Français qui se sont mariés en Aragon ne l'ont fait qu'avec des femmes originaires de cette localité, jamais avec leurs compatriotes.
Durant les 270 ans analysés, nous avons seulement trouvé dans les registres deux femmes françaises, Pabla Brunet en 1586 et Mónica Cason en 1763,
la première mariée avec un calamochino et la deuxième, à la manière d'une exception, avec un émigrant français, le vendeur de journaux Pierre Barquies.
Les sources ecclésiastiques ne nous disent quasiment rien de l'état civil et de l'âge des Français. Nous pouvons imaginer qu'entre les émigrants prédominaient les jeunes gens, mais le peu de références que nous avons nuance cette hypothèse. Entre-autres,
les décès enregistrés dans les livres paroissiaux les émigrants se situent entre 30 et 40 ans, et parfois de 50 et 70 ans.
Au sujet de l'état civil de l'émigrant, nous pouvons supposer qu'ils étaient surtout célibataires, mais les renseignements obtenus dans les mêmes registres ecclésiastiques nous indiquent d'une certaine égalité entre les émigrants célibataires et mariés. 71
Les autres sources nous confirment ces premières impressions. Dans les relations des commerçants et négociants étrangers des années 1764 et 1765, transcrites dans le tableau nº5, les résidants se répartissent respectivement 18 et 16 négociants dans les chaudronniers de Calamocha, desquels 8 sont mariés (2 à l'Aragon et 6 en France) et 2 apparaissent célibataires, en ignorant la situation civile du reste. 72.

Tableau n°5
Relatif aux chaudronniers français de Calamocha dans les années 1764, 1765, 1766
1754 1765 1766 origine état civil
GuillermoVelfan 

Champell  marié à Calamocha
Pedro Figuera Pedro Figuera
Ancicha  marié à Calamocha
Anton Figuera Anton Figuera
Ancicha  célibataire
Anton Sabio Anton Sabio
Escorrailles marié à Calamocha
Pedro Baldus Pedro Baldus
Ally marié à Calamocha
Pedro Cudez  Pedro Cudez 
Ally marié à Calamocha
Juan Silva   Juan Silva  
St Martin marié à Calamocha
José Baladier   



Juan Lavisiera Juan Lavisiera
Ally célibataire
Antonio Pagis  Antonio Pagis 
Chaussenac
Pedro Pagis Pedro Pagis
Chaussenac
Pedro Bergeron  

Chaussenac
Diego Bergeron Diego Bergeron
Chaussenac
Pedro Terrin  Pedro Terrin 
Chaussenac
Pedro Cudez Pedro Cudez Menor
Chaussenac
Anton Beutheren Anton Beutheren
Chaussenac
Juan Maydin  Juan Maydin 


Anton Trigniac Anton Trigniac
Pleaux marié à Calamocha

Guillermo Del Fau Guillermo Del Fau Champell marié en France

Il semble que dans le courant migratoire vers Calamocha se mêlent constamment les jeunes hommes avec les adultes, les célibataires avec les mariés.
Dans le cas des chaudronniers auvergnats, il était habituel que les plus jeunes viennent accompagnés d'hommes plus experts, probablement un parent ou voisin qui déjà avait fait le voyage dans d'autres occasions.
Les jeunes hommes étaient sans qualification ou venaient inscrits comme apprentis, en constituant une force rudimentaire de travail et qui sera formé à travers l'enseignement de ses ainés.
Toutes les données nous incitent à penser à une prédominance d'émigration de type saisonnière ou temporaire. Dans le cas des marchands béarnais leur présence était, selon l'habitude, très transitoire. Ils acquièrent la laine dans les montagnes méridionales, la mènent à laver à Calamocha et, une fois nettoyée, ils la recueillent et entreprennent nouvelle marche vers Saragosse ou la France. Leur séjour dans la vallée du Jiloca se limitait à quelques jours ou, s'il se produisaient des retards, à des mois.
Le séjour des chaudronniers auvergnats est d'habitude plus long, en dépassant normalement l'année.
Comme Poitrineau nous le signale, quelques familles du canton de Pleaux signaient des contrats matrimoniaux dans lesquels se précisaient le temps d'absence en Espagne des maris, on constate que dans 26 des contrats on prévoit une absence de 30 mois, dans 7 une absence de 18 mois et de 3 il est réduit jusqu'aux 12 mois, en établissant quelques mécanismes de relève périodique dans lesquels rentraient aussi les frères et les gendres des contractants 73.
Ces systèmes d'alternance sont observés avec une plus grande clarté dans les compagnies marchandes, artisanales ou mixtes que les auvergnats organisaient, relayant périodiquement les associés. Parfois, ces alternances peuvent être pactisées, en essayant de concilier la rentabilité du processus migratoire (les voyages sont toujours chers) et les opportunités des parents.
Dans certains cas la résidence des Auvergnats en Espagne pouvait atteindre les cinq ou six ans. Les émigrants célibataires n'avaient pas trop de hâte de rentrer chez eux si l'affaire leur convenait bien et si le travail le permait, ils allongeaient au maxima possible leur séjour en Aragon, jusqu'à économiser un petit capital qu'ils emmèneront en France le moment venu et commenceront, avec ce pécule, une nouvelle vie dans leur pays natal.
Pendant le 17e siècle, l'arrivée de chaudronniers français en Aragon a été si importante et les séjours si prolongés, qu'en 1684 une corporation de la ville de Saragosse les a accusé de monopoliser le métier et de rentrer chez eux en emportant l'argent qu'ils avaient gagné par leur travail. 74
Il est bien certain que l'émigrant arrivait en Espagne pour gagner de l'argent avec l'intention de le rapatrier et de l'investir dans son pays. Les auteurs de traités espagnols de la fin du 16e siècle et des débuts du 17e imputaient à cette pratique la cause de tous les malheurs de l'Espagne. Selon les estimations de Barrionuevo, les 20 000 émigrants français, qui existait en Espagne en 1650, sortaient par an 60 tonnes d'argent environ 75.

Parfois, l'exportation de métaux précieux était réalisée personnellement, quand l'émigrant rentrait réellement ou se déplaçait pour voir sa famille. Dans d'autres occasions l'argent était remis à des collègues ou des marchands de confiance, qui le camouflaient, transformé en marchandises.
Vers le milieu du 17e siècle, Pierre Rivera a remis à Calamocha 5.240 sueldos à la compagnie marchande formée par ses compatriotes Mateo Paricio et Jean Baboules avec l'obligation de les rendre à sa famille, résidant à Saint Martin Cantalès, dans le Cantal. Par la suite, en décembre 1657 il remettra 1.105 sueldos avec la même finalité. Les bénéfices étaient mutualisés.
La compagnie marchande obtenait un argent supplémentaire avec lequel elle augmentait sa capacité exportatrice, et Pierre Rivera réussissait à envoyer à ses parents de l'argent camouflé, en évitant les lois aragonaises qui interdisaient l'exportation des capitaux 76.
L'argent de l'émigrant finissait en France, investi dans l'achat de biens et d'immeubles, quelques parcelles agricoles, une maison ou quelques têtes de bétail.
Mais aussi nous trouvons des artisans et des marchands mariés en France qui possèdent d'importantes propriétés en Espagne, un magasin où se loger, si l'un se marie,  un magasin où garder les marchandises.
Jean Courboules, de Mauriac, et Antonio Chanut, de Drignac, légalement associés dans une petite compagnie marchande, possédaient à Báguena, une localité placée dans la vallée du Jiloca, trois maisons bien meublées et des vignes 77. Ce n'est pas un fait isolé.
Quand les affaires, que les émigrants avaient en Espagne, passaient des parents aux enfants, en maintenant l'émigration pendant des générations successives, certains de ses membres finissaient par acheter des biens en Espagne, bien qu'ils n'aient certainement, jamais pensé s'établir dans ce pays.
Après être sorti d'Auvergne, l'émigrant laisse derrière lui une famille et quelques relations parentales plus ou moins complexes. Comme son absence durait il avait l'habitude de déléguer à son épouse, ses parents, ou des gendres, tous ses droits civils, spécialement pour la signature des contrats de mariage de ses enfants et pour les contrats d'achat de biens.
Normalement la délégation de fonction est légalisée par à une procuration établie devant un notaire. Cela est très typique dans le noyau familial, où la souche protège les femmes, les enfants et les vieux, en limitant les risques de l'émigration. Quand ces procurations restaient insuffisantes, les émigrants ne manquaient pas de se présenter aux notaires d'Espagne pour réaliser des modifications pertinentes.
En janvier 1657 Antonio Rivera, un marchand naturel d'Ally, rencontre un notaire de Calamocha pour donner une procuration à Marguerite Pujol, sa femme, habitant à Ally, et à Jean Pujol, son gendre, habitant de Saint Christophe en Auvergne, pour qu'en son nom ils puissent concerter le mariage de Jeanne Rivera, en lui donnant comme dot les biens que tous les deux ont décidés 78.

Quel accueil les Calamochinos ont réservé aux émigrants ?

Dans les petites localités on ne constatait pas l'existence d'une réelle xénophobie antifrançaise, même dans les moments les plus critiques dans les relations entre les deux royaumes.
Comme nous l'avons signalé, les Français de Calamocha occupaient des métiers qui n'avaient pas d'équivalence sur place, et qui ne provoquaient de concurrence pour personne. De plus, après avoir logé pendant de nombreuses saisons à Calamocha, ils laissaient à ses habitants un revenu très apprécié. Même certains ont réalisé des affaires en commun entre Français et  Aragonais, comme cela semble être le cas d'Antonio Baboules, marchand français et Domingo Marco, propriétaire d'un botiga (un magasin de vêtements) dans Calamocha.
Tous les deux rentraient ensemble de Saragosse, chargés des marchandises, quand ils ont été assaillis par quelques bandits dans Longares. Ils les ont enlevés, ainsi que les montures et les vêtements qu'ils transportaient, et par la suite ils les ont assassinés 79.
L'entente mutuelle entre les deux nationalités est aussi appréciée dans les lavoirs de laine.
En 1645 le marchand de Saragosse, Sebastián Cabezo a laissé quelques laines sales dans le lavoir de Vicente Iñigo pour qu'il procède à son nettoyage. Un mois plus tard il rentre à Calamocha et constate que ses laines avaient été écartées pour nettoyer d'autres à la place. Le marchand s'est fâché, surtout quand le responsable du lavoir lui a dit qu'il fallait attendre, que d'abord il allait nettoyer d'autres laines que des marchands français avait apporté.
Sebastián Cabezo, très irrité, est retourné à Saragosse et deux jours après, est revenu avec des lettres du Chancelier Royal et de l'avocat fiscal de sa Majesté par lesquelles ils reconnaissaient la prééminence des Aragonais à faire traiter ses laines avant celles des étrangers.
Le responsable du lavoir devait avoir un contrat avec les Français puisqu'il a réaffirmé sa position, et il a dit que s'il ne lave pas en premier lieu les laines qu'il veut, il n'en lavera aucune 80.
Les marchands français qui arrivaient à ses lavoirs étaient nombreux, et l'administrateur ne désirait pas se fâcher avec eux, ils représentaient une partie très important de son affaire.
Les émigrants ont lié des relations étroites d'amitié avec leurs voisins.
Mateo Paricio, marchand de Saint Martin Cantalès dresse un testament en 1673, en laissant Cristobal Jorcano et Anne Broque, dans le logement où ils résidaient quand ils venaient à Calamocha, comme tous les vêtements et autres les joyaux qu'il a gardés dans sa maison .81
Au 18e siècle Pierre Vigier, un colporteur natif à Rilhac, a dû partir précipitamment d'Espagne, et il a laissé toutes ses marchandises dans la maison d'un voisin de Calamocha, qui lui louait fréquemment une pièce 82. Les émigrants français avaient une confiance dans les Aragonais qu'ils connaissent bien, et celle-ci était probablement réciproque.

La tradition populaire, et les légendes qui ont circulé chez quelques Aragonais, ont créé une très mauvaise réputation pour les chaudronniers itinérants. Pendant quelques siècles ce sont les Auvergnats qui ont occupé ce métier, pour être substitué dans le 19e siècle par des membres de la race gitane. Ces artisans itinérants ont été personnages pittoresques et un peu inquiétants. S'ils étaient jeunes et célibataires, ils profitaient du commerce en porte à porte pour sympathiser avec les femmes, en cherchant en premier lieu à séduire l'acheteur potentiel de ses produits, en faisant étalage de bonnes manières pour la vente, mais ils avaient aussi la réputation de poursuivre certaines demoiselles mariables en cherchant sa "dot", espérant logiquement une stabilité qui les aiderait à échapper à la misère. Ils avaient aussi une également réputation de voleurs, tant par leur mobilité (qui les rendait suspects à tout ce qu'ils approchaient) que par leur manifeste pauvreté, qui est toujours la cause principale des délits contre le patrimoine.
Cependant, la réputation ne coïncide pas toujours avec la réalité. Bien que l'on s'affiche comme de coureurs de filles, la misère sexuelle de l'émigrant auvergnat était d'une telle ampleur que plusieurs d'eux ont commencé à fréquenter les prostituées des capitales, en contractant quelques maladies vénériennes qui les obligeront à passer de longues saisons dans des hôpitaux 83.

Dans leurs déplacements en Aragon, tant les marchands que les artisans chaudronniers, portaient des pistolets et mousquetons.
Les assassinats cités d'Antonio Baboules et de Domingo Marco dans Alongares n'ont pas été exceptionnels, mais il faisait partie de la violence quotidienne du 17e siècle.
En juin 1700, un maître fondeur Juan Aban, de nationalité française, a effectué un voyage de Calamocha à Molina, probablement pour voir comme fonctionnaient les martinets en Castille, et a trouvé la mort en chemin, assassiné par quelques bandits. 84
Les émigrants avaient fréquemment des rencontres avec les bandits, spécialement quand ils rentraient chez eux en France, puisque les voleurs savaient qu'ils étaient porteurs de l'argent qu'ils rapatriaient. Ils voyageaient toujours en groupes et très armés, comme le montrent quelques inventaires. Dans ses déplacements, Jean Cocard portait toujours un fusil castillan, une épée et un poignard 85. Au cours du 17e siècle, à mesure que s'accentuent les affrontements entre l'Espagne et la France, il était interdit de porter des armes, ce qui représentait une offense inquiétante après avoir été très une inscription la taxe de banditisme et le risque de se trouver assailli pendant les voyages    ??.
Cette disposition a été très contestée, tant et plus que les impôts contigus à la guerre grevaient les activités artisanales et marchandes 86.

Bien sûr, mourir en Espagne préoccupait énormément l'émigrant. Normalement tous faisaient un testament, chez les notaires de France, mais ils ne manquaient pas de le modifier ou de le changer devant les notaires d'Espagne s'il le considérait nécessaire.
Dans les archives notariales de Calamocha nous avons trouvé quatre modifications testamentaires réalisées par :
en 1644 par Jerónimo Garcelon ,
en 1673 par Mateo Paricio ,
e
n 1680 par António Rivera et
en
1694 par Juan Bocau .
Les premiers et troisièmes défunts travaillaient comme chaudronniers, le deuxième et le quatrième étaient des marchands. Au sujet de leur origine, les trois premiers venaient d'Auvergne tandis que le dernier était béarnais 87.
Ces testateurs, pressés par une grave maladie, ont décidé qu'ils désiraient être enterrés dans l'église paroissiale de Calamocha (Jeronimo Garcelon a ajouté, ou dans l'église du village où il mourrait ), en lui assurant les cérémonies funéraires habituelles (messe de décès, neuvaine et anniversaire). L'argent qu'ils ont laissé pour des suffrages et les messes pour le salut de leurs âmes varient énormément. Mateo Paricio n'a rien laissé, en montrant un comportement qui établissait des doutes certains sur sa possible sympathie pour le protestantisme.
Antón Rivera délègue la décision dans ce qui parait le mieux à son frère .
Jerónimo Garcelon a décidé que trente messes de requiem devraient être célébrées, quinze d'entre-elles dans le couvent de San Roque de Calamocha (qui démontre l'affection et l'attachement qu'il ressentait pour la vallée du Jiloca, fruit d'une vie passée 
pendant de longues années en Aragon) et l'autre moitié dans la chapelle de Notre Dame de l'église paroissiale d'Ally, en Auvergne. Finalement, le jeune homme Juan Bocau est plus magnanime avec le clergé et, en déduisant un petit héritage qu'il lègue à ses frères, il a décidé que tous ses biens seraient dépensés pour des messes pour le salut de son âme.    ?????
Les trois premiers émigrants étaient mariés, et la plupart de leurs biens passeront à leurs femmes et enfants.
Jeronimo Garcelon distinguait les biens qu'il possède en France qui ont été cédés à sa femme, Françoise Sabio/Savy, avec l'obligation qu'elle en disposait pour ses enfants, en distribuant de la manière qui lui paraît, tandis que les biens qu'il a en Espagne passeront à son fils François Garcelon, pour qu'il continue le métier de chaudronnier.
Comme nous avons signalé, le métier qui occupe l'émigrant a l'habitude d'être transmis de génération en génération,  indépendamment du caractère saisonnier de l'émigration.
Mateo Paricio a laissé comme héritière universelle sa mère, Isabelle Coderque, résidant à Saint Martin Cantalès, et si elle mourait avant lui, à ses héritiers légitimes et légaux selon les lois d'Auvergne . Ce marchand était marié à Madeleine Bugana, à qui il donne 200 livres tournois, une monnaie française, mais par la décision précédente, d'appliquer les lois de son pays natal, nous pouvons soupçonner qu'il n'avait pas d'enfants et qu'il ne désirait pas que sa femme fût héritière (dans le cas où s'appliquerait les lois aragonaises elle jouirait de l'usufruit par veuvage).
 Antón Rivera, sa décision a été complètement différente, en décidant que sa femme restera usufruitière de tous les biens, en observant un veuvage, et avec l'obligation de nourrir et de prendre soin de tous les enfants jusqu'à ce qu'ils contractent mariage.
Comme nous le voyons, les arrangements sont multiples, et il est impossible de déterminer un comportement commun à tous.
Le testament d'Antón Rivera cite sa femme, Catalina Hisset, et ses deux filles, Marguerite et Marie, et le fils que Catalina Hisset sa femme a eu et procréé dans mon absence, dont il ignore le nom, il le considère comme réellement présent bien qu'il veut exister ici par son un nom, comme si un présent l'avait, par nommé  ?.
L'autre risque de l'émigration était en fait de laisser une femme enceinte, et ne pas connaître le nouvel enfant avant quelques années.
L'envoi permanent de correspondance personnelle, dont ont été conservées quelques lettres dans les archives françaises, maintenait les émigrants informés, en relatant régulièrement l'état de ces familles 88.
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Les réseaux de solidarité de l'émigrant


Comme nous l'avons indiqué, deux courants migratoires différents se rencontrent à Calamocha,
l'un originaire du Béarn composée principalement de petits négociants en laine, et
l'autre originaire des cantons nord-ouest d'Auvergne, formé par de petits artisans chaudronniers et d'autres marchands.

La coïncidence principale entre tous ces émigrants a été la nationalité, représentée dans l'usage d'une langue commune avec laquelle ils pouvaient se comprendre, et dans le sentiment de solidarité patriotique qui devenait plus fort quand ils se trouvaient en terre étrangère.
Cependant, tant par la tradition culturelle des lieux de provenance que par les particularités du métier exercées par les émigrants, les différences entre les deux courants ont aussi été très remarquables.
L'émigration auvergnate à destination de l'Espagne est un phénomène de masse, avec une large tradition multiséculaire qui lui apporte une claire dimension culturelle. En cela elle se distingue de l'émigration originaire des Pyrénées, puisque celle-ci se basait dans des composants individuels, des personnes qui partent seules et qui rarement se regroupent après être arrivées en Espagne.
Les émigrants auvergnats, à la différence, maintiennent des relations étroites entre les compatriotes et, une fois stationnés dans le pays, mettent en formation des sociétés compactes qui groupent les parents et les voisins d'une même une localité. Le flux migratoire auvergnat se caractérise en mettant en action une série des règles basées sur la solidarité rurale propre des sociétés montagnardes.
Ces règles étaient très simples : le lignage, la parenté, le voisinage et la communauté des habitants.
Les Auvergnats voyagent en groupes, travaillent de préférence dans un groupe et ils vivaient dans des groupes, en rejoignant parents ou voisins du lieu d'origine.
Cette base familiale est parfaitement ressentie dans les petits groupes de chaudronniers français que nous trouvons à Calamocha. Quelques membres de la famille émigrent, ils exercent le même type d'activité, se regroupent en Espagne dans la même localité et, de préférence, dans la même maison, en obtenant, avec une pratique semblable, de larges bienfaits moraux et matériels.
Pierre Albarate, natif de Méallet, se marie en 1633 avec une Calamochina ce qui ne l'empêche pas d'accueillir dans sa maison à son frère Guillén.
Seban Fontanges vit avec son frère Pierre dès 1638.
Pierre Rivière ,le chaudronnier, référencé dès le 1634, s'associera avec son frère Antón en 1638, qui, par la suite, prendra son fils. 89
Ces relations familiales, étroites, expliquent aussi la continuité de l'émigration au cours des générations.
Jerónimo Garcelon apparaît domicilié à Calamocha en 1640, en se consacrant à l'élaboration de chaudrons.
En décembre de1644, en étant malade, dresse un testament, en citant comme héritiers légitimes ses enfants François, Jean, Michel et Pierre, résidants tous à Ally, en Auvergne. Dans le testament décide que son fils François devra continuer le métier, en lui laissant tous les biens, crédits et actions qui lui appartenaient en Espagne , avec l'obligation de prendre dans sa compagnie son frère Jean, en lui donnant le nécessaire pour les trois prochaines années et en lui apprenant le métier de chaudronnier. À la mort de Jerónimo Garcelon son fils François continuera la migration, en se rendant à Calamocha, pour continuer le métier de chaudronnier, mais il parvient à faire venir tous ses frères, Jean, Michel et Pierre
90.
Nous trouvons quelque chose de similaire au siècle suivant avec Jean et Pierre Antoine Ardit, des frères originaires de Sesenat se consacrant au commerce toutes sortes de produits. même problème de nom plus bas
il s'agit très probablement de Chaussenac dans le Cantal où se trouve un couple Jean Ardit & Michèle Vergnes début 1700.
En 1782 ils rentrent chez eux et donnent procuration à des parents qu'ils avaient à Calamocha pour qu'ils encaissent les dettes. Ils ont pris rendez-vous avec ces parents, Guillermo Mollat, Francisco et Antonio Ardit, respectivement, neveu, frère et fils de Pierre Antonio Ardit. Ils sont au total cinq membres du même lignage, et tous sont seuls en Espagne, sans leurs femmes, pour continuer leur travail à tour de rôle dans l'affaire, qui est sûrement familiale. 91

La solidarité et l'appui entre les émigrants s'applique aussi au niveau de la population civile.
Après avoir parlé de la provenance des émigrants nous avons cité que 29 d'entre-eux étaient originaires d'Ally, 15 de Chaussenac et 5 de Saint Martin Cantalès, le nombre augmentera sûrement compte tenu de l'origine de tous les émigrants.
Les Français de la même localité avaient l'habitude de se diriger vers une même destination, en favorisant de cette façon la solidarité du voisinage. L'émigration française, surtout originaire d'Auvergne, a un vaste contenu de mimétisme social et grégaire qui contribue à l'augmenter.
Certains des premiers émigrants ont réussi à s'enrichir, et ils ont commencé à attirer beaucoup de compatriotes à les suivre dans leur migration en les convainquant, en agissant à la manière des phares de la ville, Parfois ces "phares" ou lumières créent des relations étroites de  centralisme, surtout quand les Auvergnats les plus des pauvres s'adressent aux marchands de la même nationalité pour solliciter de l'aide 92.



le commerce de la laine et la transformation du cuivre.

Dans Calamocha nous avons l'exemple d'Antón Rivera Pougheol, natif d'Ally, qui est arrivé en Aragon à la suite de son père. Grâce à ses activités commerciales il a réussi à accumuler un capital important, et il l'a investi dans les activités qu'il contrôlait le mieux c'est-à-dire toutes celles relatives aux besognes de ses compatriotes Français : le commerce de la laine et la transformation du cuivre.
En février 1683, il loue les lavoirs de laine de Calamocha, et il impose un nouveau dynamisme patronal. Insatisfait des limitations de l'exploitation dans cette location,
en 1684, il décide d'acquérir la propriété de la moitié des installations, en s'embarquant dans un investissement qui absorbera la grande partie du capital qu'il avait économisé jusqu'alors et en recourant à l'endettement pour payer le reste.
en 1701,
il achète l'autre moitié du lavoir, exerçant son absolue propriété.
en 1686, il s'introduit aussi dans le secteur de la chaudronnerie, grâce à la construction d'un martinet pour contrôler le cuivre à Calamocha depuis les premières étapes de transformation du minerai, à la fonte et à l'élaboration de plaques ou feuilles de cuivre.
Ces investissements lui ont permis d'accumuler un important patrimoine 93.

Depuis sa situation prééminente, Antón Rivera, a promptement utilisé ses actifs, avec les marchands français, ses compatriotes, le groupe plus nombreux de ses clients potentiels, ceux-ci n'ont pas hésité un instant à le soutenir. Les nombreuses pièces des installations du lavoir de laine se sont converties en refuge pour de nombreux Français de passage, en apportant aux émigrants un lieu où se rejoindre et parler librement dans sa propre langue.

En 1693, un marchand français, Jean Peyroso, a reçu un coup de poignard. Il a eu un repos de 30 jours, accueilli et soigné dans le lavoir de Calamocha, sur le compte d'Antón Rivera, qui n'a rien encaissé pour le logement, en payant uniquement les médicaments et les soins personnels. 94.
Antón Rivera a aussi montré une solidarité de clientèle avec ses compatriotes les chaudronniers, plusieurs d'entre-eux originaires d'Ally, en leurs avançant constamment des plaques de cuivre à crédit, en leur donnant un grand délai pour les lui payer, avec le risque latent de beaucoup perdre par impayé. 95

Les réseaux sociaux ne se limitaient pas au clientélisme que les émigrants exerçaient vers les plus nantis. Les hommes de la Haute-Auvergne qui partent à travailler en Espagne sentent une attraction impérieuse vers leur milieu familier et leur province d'origine, vers laquelle ils rentraient périodiquement.
À moins qu'ils ne se marient en Espagne, une émigration ne sera jamais définitive. Et cependant, bien qu'ils soient unis à une espagnole, ils reviendront à l'occasion dans leur terre natale pour visiter leurs parents et amis, ou dévoileront l'existence des voisins émigrants de leur localité d'adoption, qui leur ont demandé des nouvelles des parents qui sont restés en France.

Antonio Triniach (ou Trignac)était un chaudronnier naturel de Pleaux qui s'est marié en 1721 avec Inés Lafuente, une voisine de Calamocha. Ce mariage apportait la nationalité espagnole au mari, mais cela n'a pas impliqué qu'il devait se dissocier de ses collègues auvergnats, et encore moins quand existaient quelques liens professionnels communs. Se marier avec une aragonaise ne suppose pas qu'il faille abandonner son métier de chaudronnier. Au bout de quelques années, Antonio Triniach et Inés Lafuente ont eu un fils, légalement aragonais . Ce fils s'est marié à Calamocha avec Teresa Sánchez, et il a ouvert une maison et un atelier de chaudronnerie dans la rue Réal, en continuant le métier de son père. Il n'a jamais renoncé aux relations anciennes que son père maintenait avec les émigrants, et quand venaient des Français il les accueillait de bonne manière dans sa maison.
En 1786, il apparaît dans les répertoires d'enregistrements, 4 compagnies de chaudronniers logeant dans une maison des Triniach, (il y a, également, des Triniac à Chaussenac) dormant et mangeant, (soit 12 artisans) 96.
Les émigrants définitifs, et leurs enfants, n'ont jamais cessé les relations avec les émigrants temporaires, en maintenant des relations cordiales pendant quelques générations.
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Avec les relations familiales, de clientèles ou de voisinage, ou un mélange de tout cela, les émigrants français obtenaient de grands avantages de ces concentrations dans certaines localités.
Ces réseaux de solidarité facilitaient les déplacements en faisant baisser les prix, les rendant moins onéreux, moins aléatoire, et réduisaient les risques de tous ordres, en mettant en jeu, loin des lieux d'origine, les réseaux de solidarité familiale et communautaire. De plus, les déplacements en groupe vers des villes précises allègent les effets traumatiques dus au déracinement et contribuent, par un mélange d'âge et d'expérience de l'émigration, à la perpétuation du courant migratoire.
Après avoir marché et résidé ensemble, les Auvergnats protègent leur propre personnalité, en s'opposant et en retardant l'acculturation inévitable dûe au lieu qui les recueille, en contribuant à modeler son esprit et à maintenir la fidélité à l'héritage culturel commun.
Le jeu de ces réseaux sociaux que les émigrants établissent explique une mobilité interne dans les courants migratoires et les préférences vers l'un ou un autre lieu.
L'abondante présence d'émigrants dans une localité, comme par exemple Calamocha, obéit en premier lieu à des motifs économiques, puisque sans la possibilités d'obtenir des bénéfices économiques l'émigration n'existent pas.
Cependant, ces ressources économiques existaient aussi dans beaucoup d'autres lieux, parfois avec plus possibilités d'obtenir de meilleurs rendements, mais cela ne supposait pas une arrivée automatique d'émigrants. Le point d'origine et la destination des courants migratoires ne sont pas déterminé, uniquement, pour des motifs économiques, mais aussi conditionné par des raisons sociales. Pour comprendre la préférence des Français pour quelques localités aragonaises il faut aussi introduire des arguments sociologiques, comme l'existence de ces réseaux familiaux et de population civile très compactes et influentes.
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Les compagnies artisanales et marchandes     


En plus des réseaux familiaux et de voisinage, les Auvergnats ont renforcé les mécanismes de solidarité grâce à la création d'associations professionnelles de marchands et des artisans.
Plusieurs des émigrants qui se sont dirigés vers l'Espagne, le faisaient encadrés par des compagnies marchandes ou artisanales, d'authentiques brigades hiérarchisées, formées par des collègues et des domestiques, des maîtres et des apprentis, en mélangeant l'inexpérience des jeunes hommes avec l'expérience que les adultes avaient déjà acquise après plusieurs campagnes à l'étranger.
Nous connaissons le fonctionnement de certains des grands groupes marchands auvergnat grâce aux études réalisées à Madrid et à Valencia.
Les plus fameuses sont les compagnies de Navalcarnero, de Chinchón, l'Alcazar de San Juan y Parla à Madrid, et celle de Segorbe en Castille, mais elles n'ont pas été uniques, ni probablement les premières.
L'existence de compagnies auvergnates est déjà décrite au 17e siècle, et probablement, il faut remonter les origines jusqu'à une époque médiévale.
Les compagnies de Madrid se consacraient principalement à la distribution de textiles dans toute la zone de la Castille et la Mancha.
La compagnie de Segorbe était plus limitée, en commercialisant ses produits aux environs des villes, en se consacrant à la vente de mules, des chevaux, des objets en cuivre et du vin. 97

Plusieurs Auvergnats que nous trouvons à Calamocha ont aussi recouru à ces schémas d'organisation. Le plus fréquent a été de former une compagnie de commerce grâce à un pacte verbal ou en recourant à un notaire français 98. Les règles de fonctionnement étaient fixées avant de commencer la marche vers l'Espagne, et seulement dans la supposition d'une dissolution de la compagnie, ou dans la volonté modifier substantiellement les conditions établies, on recourra aux notaires espagnols.
Dans les archives de Calamocha nous avons trouvé quelques références de l'existence de ces compagnies :
3 actes de dissolution et 1 de modification.
Au début de l'année 1632, les chaudronniers Esteban Fontanges et Jerónimo Garcelon se présentent devant le juge ordinaire de Calamocha pour l'informer qu'ils avaient une compagnie de chaudronniers à pertes et à gains formée ensemble avec Jean Cocard,
et que celui-ci est décédé brusquement. Comme le défunt n'a pas de parents en Espagne ils demandent au juge qu'il soit le témoin d'une dissolution de la compagnie et de la distribution exacte des bénéfices existant. Après avoir dressé les comptes ils remarquent que Jean Cocard a mis 243 écus dans le capital social de la compagnie et il a obtenu 154 écus de bénéfice d'autre part. Ils devaient donc lui remettre au total 397 écus, ils le font de la manière suivante :
306 écus pour des dettes à diverses personnes qui ont dit être les plus sûres et 46 écus pour diverses marchandises. Sur le reste du capital lui revenant, ils déduisent les frais de sa maladie et de son enterrement. Il lui revient aussi divers outils, armes et une chaise de rotin. 99
Les autres dissolutions sont plus réduites en information. Mateo Paricio et Juan Baboules, marchands auvergnats, ont créé en 1655 une compagnie marchande à gains et à pertes. Deux ans après, en décembre 1657, ils décident de la dissoudre de façon amiable, en distribuant tous les biens de la société. Dans l'écriture rédigée pour cet acte, le capital social de la compagnie n'est pas indiqué, ils détaillent seulement que l'on doit 931 écus et 22 "sueldos" (?)à différents débiteurs 100.
Nous n'avons pas, non plus, de données significatives une dissolution effectuée en avril 1670. Michel et Georges Garcelon, chaudronniers d'Ally, ils promettent de payer au troisième associé de la compagnie, à leur frère Jean, 1.200 sueldos (?) dans 6 versements égaux, réparti sur deux années, à raison de la part d'argent et de biens qui lui appartient jusqu'à aujourd'hui , en lui réservant en plus un panier garni d'outils 101.

L'acte de modification des conditions d'une compagnie, levée fin du 18e siècle, contient une information beaucoup plus intéressante.
Les chaudronniers Martin Yschard et Jean Laveisiere, au nom de tous les émigrants qui forment la compagnie (le nombre n'est pas détaillé), comparaissent devant le notaire pour autoriser l'entrée d'Antonio Baldos, un nouvel associé, en signant l'accord suivant 102 :
La compagnie accepte l'entrée d'Antonio Baldos qui met dans le capital social 800 pesos.
Pendant les cinq années et demie prochaines, ce Baldos ne peut demander aucun argent à la compagnie, à moins qu'il ne souffre de grave maladie, dans ce cas on lui remettra le nécessaire, tel et comme cette compagnie a l'habitude.
Passées cinq années et demie, la compagnie rendra à Baldos les 800 pesos qu'il a mis plus 500 autres pesos de bénéfice (soit au total 1.300 pesos), étant déduit de ceux-là les sommes qu'il aurait reçues en cas d'une maladie.
Pendant les cinq ans et demi, la compagnie s'engage à le maintenir sain, chaussé, avec des vêtements propres, une barbe faite et du tabac. Au cas où il souffrirait d'une maladie chronique, la compagnie se chargerait des frais le premier mois, ensuite ils seront aux dépens du propre Antonio Baldos.
Si, avant d'accomplir le délai des cinq ans et demi, Antonio Baldos mourait, on remettra à ses héritiers le capital social apporté plus la partie proportionnelle correspondante des bénéfices lui revenant en fonction du temps qu'il a travaillé dans la compagnie.
-- Dans le cas où il n'y avait pas d'argent dans le fond, la compagnie se réserve le délai d'un an pour le rendre effectivement aux héritiers.
Si, ce délai écoulé ils n'avaient pas remis les fonds, les héritiers devront attendre les cinq ans et demi stipulés, mais ils recevront complètement les 1.300 pesos.

Chaque compagnie artisanale ou marchande avait ses propres règles qui changeaient en fonction des dimensions de l'affaire et du temps passé.
À Madrid, par un exemple, les compagnies auvergnates établissaient une période d'apprentissage de sept années, à partir delà chaque associé participait progressivement à la distribution des bénéfices, en obtenant une plus grande quantité au fur et à mesure qu'ils acquéraient une plus grande expérience dans la compagnie 103.
Dans le cas des compagnies de chaudronniers de Calamocha, comme nous l'avons vu, la participation restait stipulée à une période de 5 ans et demi, passé ce temps le capital investi est récupéré et un partie des bénéfices.
Les compagnies se chargeaient de tous les frais de ses associés, en englobant l'alimentation, les vêtements, les chaussures et d'autres petits frais comme le tabac et la boutique du barbier.
Les 90 pesos annuels qu'ils touchaient de bénéfice représentent une quantité assez considérable, très supérieur à celle qui était obtenue dans d'autres travaux. De plus, après les avoir touchés en une seule fois à la fin du contrat, ils obtenaient un petit capital qui permettrait aux chaudronniers d'acquérir des terres et des biens immeubles dans leur pays natal ou bien, participer avec cet argent à la même ou à une nouvelle compagnie.

Dans le tableau n°6 des résidants français demeurant à Calamocha en 1783 et 1786,
Regroupés en compagnies, comme il apparaît dans les répertoires d'enregistrements de ces années. Ces compagnies étaient formées par un noyau familial (2 ou 3 frères, parents et des enfants) auquel adhéraient de nouveaux collègues originaires de la même localité, avec lesquels ils pouvaient avoir des liens de parenté ou non.
En tout cas des liens de voisinage existaient toujours. Les noms de famille se répètent continuellement dans chaque compagnie, Rivas dans la première, Basset dans la troisième, Perez dans le quatrième, Lascombes dans cinquième, Ydjar (Yschars) et Fialex dans la septième et Ardit dans la huitième.
Le règlement de chaque compagnie, celui-ci est écrit ou verbal, réglait d'une manière claire l'alternance des chaudronniers en Espagne. Les uns restaient quelques années, en exerçant d'une manière continue leur travail, tandis que d'autres nouveaux entraient dans la compagnie, ou ils rentraient en France. Les possibilités sont multiples, en incluant le chaudronnier qui a déjà quelques campagnes en Espagne, avec ses périodes correspondantes intermédiaires en France. Pour certain il serait exigé cinq ans et demi de séjour pour les apprentis, comme nous avons antérieurement vu, mais cette période pouvait être modifiée postérieurement. Si nous comparons la composition des compagnies existantes en 1783 avec celles de 1786 nous observons des différences très substantielles.
Des 34 chaudronniers présents dans 1783, trois ans après 23 d'entre-eux restaient à leur travail, les 11 manquants sont probablement rentrés en France. Mais nous trouvons aussi des gens nouveaux, 14 autres chaudronniers incorporés aux compagnies déjà existantes à Calamocha, ou même ils forment une nouvelle, la soi disant huitième compagnie. Les changements étaient continus, année après année, mais toujours avec la même stabilité.
Quand les uns rentraient en France, ils confiaient aux autres, ses papiers, livres et créances pour qu'il continuât l'affaire.

Tableau 6
Compagnies de chaudronniers à Calamocha dans les années 1783 et 1786

année 1783 année 1786
1ère compagnie
1 Antonio Baladier Antonio Baladier
2 Pedro Rivas Juan Pedro Rivas
3 Antonio Servet Antonio Servet
4
Luis Rivas
5
Guillermo Baladier
2ème compagnie
1 Antonio Bisstez Antonio Bisstez
2 Diego Buen Hombre Diego Buen Hombre
3 Antonio Buyet Antonio Buyet
4 Antonio del Puch Antonio del Puch
5 Pedro Langlada Pedro Langlada
6 Esteban Ret Esteban Ret
7 Pedro Delvoux Pedro Delvoux
8 Juan Antonio Burdiex Juan Burnet
3ème compagnie
1 Joseph Basset Joseph Basset
2 Esteban Basset Esteban Basset
3 Diego Delmax Diego Delmax
4 Estevan Frohera Antonio Bonriez
5 Antonio Mancharet
4ème compagnie
1 Gerónimo Pérez Gerónimo Pérez
2 Antonio Pérez Diego Norbiez
5ème compagnie
1 Cristobal Desungles Cristobal Desungles
2 Guillermo Baladier Joseph Saley
3 Juan de Carbon
4 Antonio Lascumbas
5 Diego Lascumbas
6 Pedro Mollat
7 Joseph N.
6ème compagnie
1 Guillermo Duet Guillermo Duet
2 Pedro Mancharet Pedro Mancharet
7ème compagnie
1 Antonio Baldos Antonio Baldos
2 Pedro Cobena Pedro Cobena
3 Pedro Fialet Pedro Fialet
4 Juan Antonio Fialet Juan Antonio Fialet
5 Martin Ydjar Martin Ydjar
6 Juan Ydjar Juan Ydjar
7 Juan Laviseyra Pedro Coder
8
Juan Nobereyra
9
Antonio Fialet
10
Pedro Fialet Menor
8ème compagnie
1
Antonio Ardit
2
Francisco Ardit
3
Gerónimo Bisstez
4
Guillermo Moritat

Finalement, vous remarquez que les compagnies d'artisans n'avaient pas beaucoup d'associés travaillant en même temps à Calamocha, oscillant entre deux et dix membres.
Ce devaient être des entreprises artisanales et commerciales très limitées, tant humainement que économiquement, manquant de capacité pour intervenir dans d'autres affaires qui n'étaient pas en rapport direct avec la transformation et à la vente des chaudrons de cuivre.
Dans les compagnies que nous trouvons dans la première moitié du 17e et à la fin du 18e siècle à peine montrent-ils une évolution minimale, en maintenant pratiquement les mêmes structures organisatrices.

Les compagnies d'artisans auvergnats avaient l'habitude de s'établir en un lieu fixe qu'ils utilisaient comme base d'opérations, dans un petit atelier et le magasin qui leur servira de centre de référence pour organiser les tournées, en étendant les réseaux commerciaux vers les localités voisines.


L'existence de quelques associés dans chaque compagnie permettait de répartir les fonctions. Les uns resteraient dans l'atelier de Calamocha en élaborant de nouveaux chaudrons, en utilisant un cuivre jaune ou rouge. Ils réparaient, aussi les ustensiles en cuivre qu'on leur portait à l'atelier. Les autres se consacraient à la vente ambulante, en se déplaçant village en village, en portant les bassines et les casseroles dans de grandes corbeilles attachées aux ânes. Ils pratiquaient le commerce sur les places de foires et de marchés ruraux, sur des marchés itinérants, en porte à porte et de ville en ville. Ils arrivaient sur les places, étendaient leurs produits pour les montrer au public, ils allumaient un foyer qu'ils utilisaient pour chauffer le métal et pour réparer quelques vieux chaudrons Souvent, en échange de ces réparations, ils avaient l'habitude accepter comme paiement d'autres vieux chaudrons, qu'ensuite ils  rapporteraient aux martinets pour les refondre et obtenir un cuivre noir.

Les chaudronniers émigrants de Calamocha commercialisaient des produits partout depuis Daroca, en agrandissant des réseaux vers quelques localités du Bas Aragon, comme Calanda, Alcorisa, Berge, Fozcalanda, Alcañiz et Caspe.104. Également, ils se déplaçaient jusqu'à Saragosse, lieu où ils cohabitaient avec les artisans de la ville, avec lesquels ils avaient des fréquentes altercations, et avec d'autres chaudronniers aragonais qui vendaient, là aussi, leurs produits.
Dans les années 1776 et 1781 la corporation de chaudronniers de Saragosse a dénoncé Jean Rigal et Esteban Basset, des émigrants français de Calamocha, vendant dans cette ville divers chaudrons et jarres, en contrevenant aux règlements municipaux. Dans les deux cas des procès ont été déposés en Audience Territoriale, et les deux ont été gagnés par les deux émigrants cités, reflétant ainsi, la perte lente du pouvoir corporatif de l'Aragon au long du 18 siècle. 105
Dans certaines situations, les compagnies artisanales chercheront avec détermination l'entrée de nouveaux associés, puisqu'ils rentraient souvent au pays avec leur argent, cela permettait de garantir la liquidité des capitaux de l'affaire. Nous devons avoir à l'esprit que presque tous échanges commerciaux des siècles modernes se réalisaient sur la base du crédit, et souvent les dettes finissaient par bloquer de nombreuses compagnies marchandes.

Dans le cas des chaudronniers, le recours au crédit s'étend sur tout le processus productif. Les martinets ont l'habitude de vendre les plaques de cuivre aux petits chaudronniers avec un compromis : ils payeront lorsqu'ils auront vendu leurs marchandises. De la même façon, les chaudronniers vendent leurs produits à crédit, en obtenant du consommateur la promesse de payer la dette le plus brièvement possible, parfois en négociant différents délais.

En 1766, le chaudronnier Antonio Sabio s'est présenté à l'Audience Royale en alléguant que quelques habitants du Bas Aragon lui doivent diverses sommes d'argent après avoir vendu à crédit des chaudrons et d'autres instruments de son métier. Les femmes qui les ont acquis ne veulent pas les payer, en différant la remise de l'argent, et les maris ne font pas face à ces dettes. Les sommes qui lui sont dues ne sont pas très grandes, oscillant entre les 6 et 20 réals, mais pour les toucher, il a effectué de nombreux voyages, d'où des frais excessifs.
Ce chaudronnier résidant à Calamocha s'est empressé à l'Audience Royale pour qu'elle commande aux justices de la ville de Calanda et d'autres cités dans lesquels il a les crédits, de faire procéder aux payements, grâce à de brèves procédures.

Le problème dont beaucoup de marchands et artisans étrangers souffre, surtout ceux qui se consacraient à la vente en porte à porte, c'est que les clients refusant de payer les retards, et les quantités étaient si petites qu'ils ne pouvaient pas recourir aux tribunaux ordinaires. De plus, les jurés et les juges de différentes localités avaient l'habitude pencher, dans leurs décisions, en faveur des habitants, en mettant de nombreux obstacles au paiement rapide des dettes. Dans un procès ouvert par Antonio Sabio, une audience lui donne raison, en ordonnant aux Maires impliqués qu'ils administrent rapidement et sommairement une procédure contre ceux qui refuseront un paiement conforme au droit, et sans donner de lieu à de nouveaux recours . Les choses n'ont pas dû aller en ce sens puisque quelques années plus tard, en 1771, l'obstiné chaudronnier a dû revenir et demander une protection à l'Audience Royale pour le même motif 106.
Le résultat final de ce système archaïque basé sur le crédit est que les paiements ont l'habitude d'être en retard parfois un an ou plus, et quand surgissent des difficultés conjoncturelles, les problèmes s'accumulent immédiatement. Les chaudronniers resteront sans toucher ce que doivent leurs clients et, par conséquent, ne paieront pas non plus ce qu'ils doivent aux martinets.
Ces pratiques provoqueront fréquemment la ruine des plus faibles c'est-à-dire des petits émigrants auvergnats, puisqu'ils n'avaient pas suffisamment d'espèces pour l'acquisition de matériel, et tout retard imprévu les jetait dans la misère la plus complète, en les obligeant à travailler pour les autres jusqu'au remboursement des dettes 107. Dans ces cas, les réseaux de clientèles des émigrants recommençaient à fonctionner, et les maîtres artisans ou les petits marchands travailleront dans leurs affaires jusqu'à ce qu'ils puissent rembourser complètement la dette.
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Evolution et disparition de courant migratoire



Quelques auteurs ont observé que les flux migratoires originaires de France se transforment au long des siècles modernes.
Les petits artisans et les hommes non qualifiés, fréquent aux 16e et 17e siècle, ont évolué de façon plus avantageuse, en honorables marchands au 18e.
Les colporteurs se transforment en marchands avec un poste fixe ou semi fixe, en utilisant un capital monétaire plus important.
Les mendiants et les journaliers itinérants disparaissent, substitué par des équipes d'artisans professionnels.
Les chaudronniers des royaumes de Valence et de Catalogne ajoutent à leurs activités traditionnelles (le commerce du cuivre) d'autres métiers comme la vente de mules et de tissus, .
Les chaudronniers et les merciers ambulants de Madrid commencent à changer à partir du milieu du 18e siècle, en occupant des fonctions commerciales plus importantes dans la ville et dans les localités voisines de La Castille La Mancha.
Dans les années précédant la Révolution Française nous trouverons dans toute l'Espagne de petits commerçants français avec de grands capitaux investis dans le pays.
Avec le temps ce qui a été une émigration de masses s'est transformé dans une émigration élitiste 108.

Pour expliquer cette évolution des groupes de migrants, les historiens ont l'habitude de mettre en avant la politique matrimoniale décidée par les commerçants et les artisans qui résidaient de manière temporaire en Espagne, en utilisant fréquemment les pactes entre les familles les plus riches, en favorisant de cette façon l'apparition d'une certaine élite de marchands. Cette alliance se produit entre les émigrants qui fréquentent les mêmes villes et mêmes provinces de l'Espagne, et qui tissent des alliances pour faire face à des circonstances délicates : un manque de liquidité sur la place, la nécessité de cautions, de réponse aux autorités locales, un transfert de capital, etc.109
Cependant, cette évolution n'est pas ressentie de la même façon dans toutes les localités fréquentées par les émigrants français, ou du moins ne suit pas les mêmes rythmes.
Dans Calamocha la spécialisation des émigrants était très forte au début du 17e siècle, et dans le siècle suivant c'est précisément le contraire qui se produit : sa lente disparition.
Les marchands et négociants lainiers originaires du Béarn ont lentement abandonné la localité à partir de 1730, et ils ont été remplacés par d'autres groupes qui ne laisseront pas les mêmes traces ni auront la même répercussion.
Le long du 18e siècle les lavoirs en laine de la vallée du Jiloca ont continué de fonctionner, mais ils font disparaître la référence aux marchands qui apportaient la laine, les causes de cette omission ne sont pas connues.
Bien que quelques données nous incitent à considérer la présence de plus en plus fréquente de Catalans, sans oublier de quelques compagnies de Saragosse qui agissaient grâce à des correspondants nous ne connaissons pas avec certitude leur provenance 110.

Certainement, 17e siècle a été l'époque dorée de la route lainière qui s'écoulait par Calamocha, avec une présence continue de négociants français, ce qui a nécessité la construction d'un nouveau lavoir et à l'amélioration de ceux déjà existants.
C'est précisément à cette époque que l'Auvergnat Antón Rivera réussit à accumuler l'important capital qui lui permettra de se distinguer, aux siècles suivants, comme l'une des familles plus nanties de cette localité.
Quelque chose de semblable arrive avec Jean de Clavería et son neuve, Jean del Rey,un marchand originaire de Seona ? il est probable qu'il s'agisse de Chaussenac,où nous trouvons de Clavière et del Rey  voir la citation plus haut, qui ont commencé par louer un lavoir dans Calamocha pour finir par acheter le lavoir de laine de "El Poyo" et, en 1693, obtenir grâce à sa richesse un jurisfirma d'infanzonía ? en Aragon 111.
Quelques propriétaires calamochinos ont aussi profité du dynamisme commercial ouvert par les émigrants français, en participant d'une manière ou l'autre à la route commerciale lainière, comme c'était le cas de Francisco Sarte, le Domingo Alpeñés ou Jerónimo López de Ontanar 112. voir les graffitis au nom de Fransco Sarte dans le diaporama "Calamocha"

En revanche, au 18e siècle, nous n'avons pas pu trouver à Calamocha de marchand émigrant avec l'occasion minimale d'améliorer sa situation sociale et économique, et de rentrer à son un pays pratiquement comme il est venu.
Dans le cas des chaudronniers auvergnats, leur permanence dans la vallée du Jiloca est plus constante au long des siècles modernes, en exploitant les mines, en fondant le cuivre et en élaborant quelques chaudrons qu'ils vendront après dans les villages voisins.

À la fin du 17e siècle et au commencement du 18e un certain intérêt est observé pour l'amélioration de la productivité du secteur grâce à la construction de quelques martinets pour le cuivre, mais à partir de ce moment les initiatives ont stagnées. Les compagnies de chaudronniers étaient de petits groupements familiaux, formés et dissous en peu d'années en fonction des intérêts particuliers de ses membres, et ils manquaient de capitaux et ne s'embarquaient pas sur de nouvelles affaires.
L'artisan émigrant n'avait pas intérêt à investir ses économies en Aragon. Il dépensait le moins possible, pour faire des économies et de cette façon il obtiendra un petit capital quand il rentrera dans son pays d'origine.
L'état des mines et l'éloignement potentiel des marchés grevaient remarquablement l'exploitation du cuivre. Quelques initiatives ont existé pour changer la situation, mais elles sont restées sans suite.
À la fin du 18e siècle Bernardo Bordás, propriétaire d'un martinet, s'est mis en contact avec la Société Royale Économique Aragonaise pour analyser la qualité du minerai et pour étudier la possibilité d'envoyer des plaques de cuivre pour les bateaux de guerre qui étaient construits à Barcelone. On réalise une étude dans laquelle s'exposent les nombreux problèmes qu'avaient les mines de Calamocha avec ses inondations continues. 113 Ils ont aussi étudiés les moyens de transport possible, dans des charrettes jusqu'à Saragosse et puis de là dans des barques sur l'Ebro jusqu'à la Méditerranée, ils constatent qu'ils augmentaient substantiellement le prix du minerais.
En octobre 1780, quatre arrobas de cuivre ont été envoyés jusqu'à Barcelone, à raison de 10 réals l'arroba ce qui fait qu'il était meilleur marché d'apporter le cuivre de Suède que de l'envoyer depuis Calamocha. 114
Ces limitations dans les activités liées au minerai en cuivre nous permettent introduire une nouvelle variable dans notre analyse. Certainement, le long de l'Âge Moderne les guerres entre l'Espagne et la France avaient provoqué dans le flux migratoire une irrégularité continue, en stimulant ou en limitant le courant, mais ils n'ont jamais conduit à la rupture définitive de l'émigration, fait qui survient à partir de la guerre de l'Indépendance.
La situation change complètement, parce qu'il sera nécessaire d'introduire de nouvelles explications. Aux facteurs politico-militaires liés à la Révolution Française et l'Empire, décrits ci-dessus, il faudra ajouter un nouveau raisonnement d'un caractère économique.
À la fin du 18e, et surtout dans la première moitié du 19e, l'émigration auvergnate à destination de Calamocha cesse d'être économiquement rentable, entre autres causes, l'impasse rencontrée dans le secteur de la chaudronnerie dans la vallée de Jiloca. Les motifs suivants pourraient être argumentés : un manque d'investissement de la part de quelques artisans qui n'ont pas d'intérêt de dépenser leur argent en Aragon, une forme d'exploitation très archaïque des petites compagnies artisanales, quelques mines avec suffisamment de problèmes techniques et des moyens de communication déficients qui augmentent le prix du produit quand il est transporté sur marchés lointains.
De plus, dans le premier tiers du 19e siècle, ont commencé à être commercialiser à une grande échelle, des ustensiles de cuisine en fonte qui sont élaborés dans les hauts fourneaux du Pays Basque, ces produits finiront par supplanter les ustensiles en cuivre plus délicats 115. Les Français arrivaient avec l'unique objectif de gagner de l'argent qu'ils rapatrieront par la suite dans leur pays d'origine. Quand cet argent arrêtera d'affluer, ou diminuera significativement, les émigrants disparaîtront de Calamocha.

Ce n'était un cas isolé de la crise industrielle. Depuis les dernières décennies du 18e siècle les compagnies manufacturières placées dans les montagnes de l'actuelle province de Teruel, surtout les textiles, étaient dans une réelle décadence, dominées par la concurrence des nouvelles industries qui surgissaient dans d'autres régions d'Espagne, spécialement par celles placées en Catalogne. Les destructions de la guerre de l'Indépendance ont accentué cette décadence qui se prolongera, sans solution, pendant les premières décennies du 19e siècle. 116
Le départ précipité des chaudronniers auvergnats a provoqué une situation délicate à Calamocha, comme en d'autres temps les guerres passées l'avaient provoquée.
Probablement, ils ne sont pas revenus à Calamocha à cause de la crise profonde économique qui dévastait plusieurs villages du sud de l'Aragon depuis des fins du 18e siècle. Les émigrants ont, certainement, décidé changer leurs habitudes, en cassant un flux migratoire multiséculaire pour chercher dans d'autres domaines, une vie avec de meilleures opportunités de travail.
Les martinets de cuivre de Calamocha continueront de fonctionner pendant le 19e siècle et les chaudrons, chaque fois dans une quantité plus petite, finiront par être élaborés par des autochtones qui supplanteront les Français. Dans un relevé des métiers réalisé dans l'année 1834 on cite 15 chaudronniers et 2 martinets, tous natifs à Calamocha.
Aucun d'eux n'est d'origine française, et aucun d'eux n'est spécialisé dans cette activité,
ils alternent les travaux agricoles et le chaudronnerie 117.
Relégué en second-plan, le travail du cuivre diminuera lentement jusqu'à disparaître à la fin du siècle.

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Emilio Benedicto Gimeno
Abril 2002. XILOCA, 29 / 60
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